Bordeaux Aquitaine Marine
Responsabilité du Pilote 1833
Au mois de novembre 1832, une galiote hollandaise, commandée par le capitaine Kramer, se trouvait à Blaye, lorsque l'ordre de
mettre l'embargo sur les navires hollandais fut donné par le gouvernement.— En conséquence de cet ordre, l'administration de la
marine ordonna au capitaine Kramer de se rendre de suite à Bordeaux avec son navire ; elle plaça à bord le sieur Poisson, pilote
lamaneur, pour faire remonter la rivière au navire. — Le 14 nov., la galiote, sous le commandement de ce pilote, fit voile pour
Bordeaux.
Pendant le voyage, elle aborda un bateau conduit par le sieur Noël, et le fit couler bas. — Dès le lendemain , le sieur Noël assigna le
capitaine Kramer devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour le faire condamner à lui payer la valeur du chargement et du
bateau. Mais, par jugement du 21 du même mois de novembre , le capitaine Kramer fut relaxé des demandes formées contre lui,
par le motif, entre autres, que l'administration de la marine ayant, en vertu de l'embargo, mis un pilote à bord du navire , avait
enlevé au capitaine toute espèce d'autorité relativement à la conduite du navire ; que, dit ce même instant, le capitaine avait cessé
d'être responsable des événemens qui pouvaient survenir dans la navigation de Blaye à Bordeaux ; que par conséquent toute
action contre lui devait être rejetée, sauf à Noël à agir contre qui il aviserait.
Quelques jours après ce jugement, les sieurs Garrigau et Dubieuil, propriétaires des marchandises chargées sur le bateau, assignent
le sieur Noël pour le faire condamner à leur en payer la valeur.— Aussitôt , et par exploit du 12 décembre, Noël réfléchit cette
demande contre l'administration de la marine, et conclut à ce qu'elle soit tenue de le relever indemne des condamnations qui
pourront être prononcées contre lui au profit des demandeurs principaux, et à ce qu'elle soit condamnée aussi à lui payer la valeur
de son bateau naufragé.
L'administration de la marine soutient que cette demande est non recevable, aux termes des art. 435 et 436, Cod. comm., pour
défaut de réclamation de la part du sieur Noël, contre l'administration de la marine , dans les 24 heures de l'événement ; que
vainement le sieur Noïl objecterait avoir assigné dans ce délai le capitaine Kramer; que ce dernier était sans pouvoir et sans qualité
depuis le jour où un pilote avait été placé à son bord; que par conséquent l'action dirigée contre lui était frappée de nullité ; que ce
point a été d'ailleurs formellement reconnu par le jugement du 21 nov. ; qu'ainsi, nulle demande régulière contre l'administration
de la marine n'ayant été formée en temps utile, celte administration est à l'abri de toute réclamation.
Jugement qui rejette ce moyen de défense. — Appel.
ARRÊT.
LA COUR :
— Attendu que le capitaine a un mandat légal pour exercer, pendant le voyage, les actions relatives au navire qu'il commande, ainsi
que pour y défendre ;
— Attendu que si, par reflet de l'embargo, le capitaine n'était plus responsable de la conduite de son navire, puisqu'un pilote avait
été placé à ton bord par l'administration de la marine, il eu résulte que celle administration est devenue responsable du fait de son
préposé , mais que cette circonstance n'a pas privé le capitaine de sa qualité, ni préjudicié à la validité des actes que les tiers lui oui
adressés de bonne foi;
—Attendu que le sinistre est arrivé le 14 nov. 1832 ; que le lendemain, Noël dit Feuilhas a fait sa déclaration et formé sa demande
contre le capitaine, et que par là il a satisfait, autant qu'il était en lui, aux dispositions des art.435 et 436 , Cod. comm. ;
— Attendu qu'en admettant que le jugement du 21 nov. 1832 dut obliger Noël dit Feuillas à former sa réclamation contre
l'administration de la marine dans les délais prescrits par les art. 435 et 436, Cod. comm.,
ce jugement ne pouvait avoir d'effet qu'autant qu'il lui aurait été signifié, et qu'il a assigné l'administration , le 12 déc. 1832, avant
qu'il en ait été fait aucune signification.
Du 31 juill. 1833.—Cour roy. de Bordeaux. — 1ère ch.— Prés., M. Roullet, p. p. — Concl., M. de la Seigliére, av. gén. — Pl., MM. Goux-Duportal, de
Chancel et St.-Marc.