Bordeaux Aquitaine Marine
Police du Port au 18e siècle
La police du port de Bordeaux n'a été réglementée que vers le milieu du XVIe siècle; avant cette époque, elle n'était soumise
qu'à la surveillance arbitraire de quelques préposés, et on ne peut se faire une idée du désordre qui régnait dans ce port immense,
si régulier, si propre et si magnifique aujourd'hui ; les vases encombraient les bords du fleuve; de loin en loin quelques cales mal
construites servaient au mouvement des marchandises ; les bâtiments, mouillés au hasard et sans ordre, rendaient la navigation
fluviale presque impossible, les accidents étaient journaliers, un grand nombre de barques rompues et de vieux navires
abandonnés étaient couchés sur les bancs de vase et servaient de refuge aux vagabonds.
La renaissance du commerce sous les Valois fit comprendre l'énormité de ces vices. L'ordonnance des jurats que nous
transcrivons et qui fut le premier acte administratif sur ce point, renferme de très bonnes règles et révèle les abus déplorables que
nous venons de signaler.
« Pour pourvoir à ce que le port et havre de la dite ville et cité de Bordeaux soit mieux entretenu et gardé sans être ronfpu (?)
et gâté et pour la décoration d'icelui, profit et utilité de la chose publique, les sous-maires et jurats font inhibition et défense à tous,
soit Bretons, Flamands, Irlandais, Écossais, Espagnols et toute autre manière de gens, de jeter aucun lest en la rivière de Gironde
depuis la terre d'icelle jusqu'à la dite ville de Bordeaux, à peine de confiscation et perdition de leur navire et autre amende
arbitraire, telle que sera avisé par les dits seigneurs.
» Et quand aucun navire sera mené et conduit en la dite ville, le maître d'icelui sera tenu venir demander congé aux dits
seigneurs ou à leurs commis de délester les dits navires, et sera tenu de mettre le lest de pleine mer là où par les dits seigneurs ou
leurs commis sera avisé et ordonné (1).
(1) Règl. act., chap. IV.
» Et ne seront les dits seigneurs tenus donner congé, que premièrement n'aient fait voir et visiter les dits navires pour savoir
s'ils auront été délestés ou non.
» Quand les dits maîtres des dits navires ou mariniers déchargeront ou feront décharger leur dit lest en leur bateau pour
l'emmener là où sera ordonné, seront tenus de le jeter de jour du côté de la dite ville de Bordeaux, et mettre le tref au bord de leur
navire, afin qu'en jetant le dit lest, icelui lest ne tombe pas en la dite rivière (1).
» Et avant que le dit congé de délester les dits navires leur soit donné, seront tenus les dits maîtres mariniers de faire le
serment sur les saints évangiles qu'ils n'ont jeté ni fait jeter le dit lest eriMa (?) dite rivière et qu'ils ne savent qui en a fait jeter.
» Il est défendu à tous marchands, maîtres de navires, matelots et autres de mettre et ancrer les navires qui seront arrivés au
port et havre à quinze brasses du côté de la terre, d'une part ni d'autre, afin que les bateaux et autres gabarres aient lieu et passage
suffisants pour être conduits et menés par le . dit port, à peine de 25 livres tournois.
» Semblablement est défendu à tous gabariers et autres de porter en gabares, couraux ni autres bateaux, le lest qui serait
déchargé d'aucuns navires, ailleurs hors la dite ville, ainsi auprès le portal de la Grave, près le Château-Trompette et quai du Caillau,
lieux accoutumés à mettre le dit lest, pour les réparations de la dite ville, sans expresse permission des dits seigneurs.
(I) Règl. act., chap. III, art. 7.
» Est défendu de laisser pierre de taille, ribot, cadènes, pièces de bois et autres choses à demi descendant du dit port et havre
pour les inconvénients qui en pourraient advenir, à peine de perdition des dites pierres, bois et autres choses empêchant icelui
port, ou autre amende arbitraire.
» Est aussi, afin que la rivière ne soit attariée et assablée en aucuns lieux et le fil et cours d'icelui ne soit empêché, est aussi
fait inhibition et défense par les dits seigneurs, à toute manière de gens, de mettre aucune chose dedans la rivière ou sur les bords
et rivages d'icelle, ensemble sur le port et havre de la dite ville et paduens d'icelle, qui puisse donner et faire empêchement en la
dite rivière, port et paduens, soit vieux bateaux rompus, pierres, bois ou autres choses quelconques donnant empêchement, à
peine de punition, telle que sera avisée par les dits seigneurs (1).
» Parce que plusieurs larrons et autres malfaiteurs se retirent ès navires, gabarres et bateaux rompus, et autres qui sont
délaissés sur le dit port et havre, ensemble ès esteys d'icelui port, il est défendu de mettre désormais aucuns des dits navires,
gabarres et bateaux rompus et autres au dit port, esteys de Sainte-Croix, des Anguilles et des Chartreux, pour quelque cause que ce
soit, à peine de perdition des dits navires, bateaux et gabarres, ou autre amende arbitraire.
(1) liègl. act., chap. III, art. 12.
» Par arrêt de la Cour du 4 mars 1580, est permis aux maire et jurats de contraindre les propriétaires des navires qui sont
enfoncés au devant la présente ville , de les faire enlever dans trois jours, ou en défaut de ce faire, sont les dits navires et vaisseaux
déclarés abandonnés à ceux qui les voudront faire tirer hors la rivière.
» Et pour obvier à ce que les vaisseaux donnant tels empêchements n'y demeurent longuement, est ordonné que les dits
vaisseaux seront marqués par les visiteurs et incontinent après appelés à son de trompe tous y prétendant intérêt. Et si quinze jours
après que la marque sera mise et cri fait, ne sont êtés, seront transportés ailleurs et vendus par les commis et députés à ce, par les
dits seigneurs, à cri public, au plus offrant, au pro6t de la dite ville, sans en signifier la vente et délivrance, ni garder aucune
solemnité.
» Par autre arrêt du 12 juin 1572 , il est dit que tous navires et vaisseaux saisis sur le havre de la dite ville, seront baillés dans
quinzaine après la saisie à l'afferme, et où il ne se trouverait fermier, seront mis en vente publique pour ne les perdre, et, en ce
faisant, gâter le dit havre.
» Mais si pour cause urgente et nécessaire, convient les y mettre, comme est pour les rhabiller, construire et réparer, ou autre
urgente affaire, leur est permis de faire en demandant congé aux dits seigneurs. Et auxquels cas seront tenus les ôter et retirer
dedans quinze jours, à compter du jour qu'ils se trouveront y avoir été mis, à même peine que dessus (1).
» Et autrement est défendu à toute manière de gens de mettre aucuns des dits vaisseaux en aucuns des dits esteys, sans
expresse permission des,dits seigneurs.
» Aussi est défendu , édifier, bâtir ou construire aucunes choppes sur le port et havre de la dite ville, près les murailles d'icelle,
à peine d'être démolies et abattues et payer dix livres bourdeloises d'amende ou telle autre punition que les dits seigneurs
aviseront (2).
» Il est défendu à toutes personnes de tenir aucunes barques ou navires sur la rivière pour servir de magasin, pour tenir sel ou
autres marchandises; ains doivent être les dites marchandises portées en la ville, par arrêt du 24 mars 1582.
» Ceux qui vendent les pots, cruches et autres vaisseaux de terre sur le dit port, seront contraints et leur est enjoint de les
mettre joignant les murailles de la dite ville, près la Tour-du-Pin, tirant devers le portau des Salinières, lieu à ce ordonné, et député
par les dits seigneurs, et non ailleurs, à peine de perdre les dits vaisseaux de terre et autre amende arbitraire.
» Il n'est permis, outre les trois marées, tenir sur le port et contre les murailles de la dite ville, aucun pau, latte ni autre œuvre
de vignes, chevrons, membrures, taulat, ni autres choses semblables qu'ils aient achetées pour les cuider vendre, à même peine
que dessus.
(1) Règl. act., ch. VII, art. 1, 2, 3 et 4.
(2) Règl. act., ch. III, art. 4.
» Pour soi donner garde du dit port et pour faire tenir et garder les statuts des susdits selon leur forme et teneur, seront
ordonnés et députés quatre visiteurs par les dits seigneurs, savoir est, deux des dits visiteurs du côté de Trompette, et les deux
autres du côté de Saint-Michel. Lesquels auront puissance et seront tenus avoir l'œil, veiller et visiter bien souvent et diligemment
le dit port et tous et chacun les navires qui arriveront en icelui, et faire décharger le lest et autres choses des dits navires ès lieux à
ce ordonnés par les dits seigneurs pour la conservation du dit port et en certifier les dits seigneurs.
» Aussi auront puissance les dits visiteurs de faire saisir, arrêter et mettre en main de justice par un sergent de la dite ville , les
navires et les autres bateaux des personnes qui méprendront, tant en ce qu'autrement, et faire ajourner tous ceux qui
s'opposeront contre leurs saisines par-devant les dits seigneurs, pour en faire justice , ainsi que le cas le requerra (1).
» Et l'amende en laquelle seront condamnés ceux qui seront contrevenants aux présents statuts, jusqu'à la somme de
soixante-cinq sols bourdelois, sera appliquée au sous-maire, en faisant poursuite et diligence de punir tels infracteurs des dits
statuts, et mettre ordre et police qu'ils ne soient enfreints (2). »
(1) Bègl. ad., ch. X, art. i, 2, 5 et i.
(2) Delurbe, Statuts de Bordeaux, p. 109.
Extrait de «Commerce de Bordeaux depuis les temps les plus reculé jusqu’à nos jours» par M. L. Bachelier (1862)