Lormont en 1848

Extrait de : Amédée Gréhan – La France Maritime – Dutertre,Paris, 1848, T4, p136.

Ce village est, pour ainsi dire, composé d'une seule rue presque inaccessible aux voitures. C'est un rocher, un ancien ravin desséché sur le bord duquel on a bâti de jolies et blanches maisons qui ont l'air d'éprouver une espèce de gaieté de la protection que semble leur accorder l'église qui se trouve placée sur le plan le plus élevé. Tout est animé dans cette petite ville. Les femmes y sont robustes et fraîches ; les hommes, forts et vigoureux; leur teint est halé par les feux du soleil et l'air de la mer. J'étais sur le bord du fleuve, depuis une heure à regarder une foule de gabares et de yoles qui descendaient du côté de la mer, lorsque j'entendis des cris: toute la population se dirigeait vers l'endroit où j'étais. Je demandai la cause de cette animation subite, et j'appris qu'un navire américain allait être placé sur le rail-way. En effet, près de moi s'élevait avec majesté, sortant du sein des eaux, un navire tout chargé, avec tous ses agrès, vergues, apparaux, et même tout son équipage à bord. Ce navire se trouva bientôt à sec placé sur un plan incliné. Cette masse énorme venait d'abandonner son élément pour être soumise à l'inspection de MM. Chaigneau, constructeur. Il s'agissait de réparer sa membrure que la tempête avait avariée. Je croyais à un miracle ; ma surprise et mon étonnement étaient extrêmes. Ce navire resta quarante-huit heures sur le rail, et, sans déranger un seul ballot de sa cargaison, il reprit la mer huit jours après. Ce spectacle ne fat pas celui qui m'étonna le moins dans la ville de Bordeaux, et j'ai cru que le consigner dans votre publication était rendre un hommage au talent et à l'ingénieuse conception des constructeurs bordelais. Telles sont les impressions de mon voyage sur les bords de la Garonne, que je vous transmets avec plaisir.

J. Numa Armand