Bordeaux Aquitaine Marine
Commerce extérieur de Bordeaux vers 1760
extrait de Savary des Brûlons, Jacques & Philémon-Louis - Dictionnaire universel de commerce, d'histoire
naturelle, & des arts ... - 1765
“ Le Commerce que la ville de Bourdeaux fait avec les Colonies Françoises de l'Amérique, n'occupe guères que 24 à 28 vaisseaux,
du port depuis 50 jusqu'à 250 tonneaux; sçavoir, 2 ou 3 pour Québec, 3 ou 4 pour Cayenne, 4 ou 5 pour S. Domingue, & 12 ou 15
pour la Martinique et les autres Isles Antilles de l'Amérique.
Ce n'est pas qu'il ne sorte du Port de Bourdeaux une plus grande quantité de bâtimens pour les Indes Occidentales ; mais comme
il ne se paye point en France de droit de sortie des marchandises destinées à ce Commerce, ce sont la plupart des Navires de
Nantes & de la Rochelle qui viennent charger des vins à Bourdeaux, & s'assortir de plusieurs choses qui leur manquent, & qui
doivent entrer dans les cargaisons pour ces Colonies.
Les navires qui vont de Bourdeaux à Québec, partent dans les mois d'Avril & Mai, & doivent mettre à la voile pour le retour, à la fin
d'Octobre, ou au commencement de Novembre. Leur cargaison consiste en vins, draperies, toiles, chapeaux, ferrailles,
quincaillerie, & outils de toutes sortes. Comme ils ne peuvent faire leurs retours de pelleterie, le Commerce n'en étant pas libre,
quelques-uns vont charger des morues en Terre-neuve, ou au Cap Breton, qu'ils achètent en Lettres de Change sur France ;
d'autres prennent à Québec, de la farine, de la bière, des pois, des anguilles salées, qu'ils y portent, & qu'ils échangent pour des
marchandises du pays; & quand ils n'en trouvent point assez pour former une cargaison entière, ils prennent le reste à fret.
Les vaisseaux qui vont à Cayenne, ne doivent être que de petits bâtimens ; un vaisseau seulement de 100 tonneaux, ayant peine à
y trouver sa charge, (principalement en Cacao,) en sorte qu'il faut qu'il passe aux Iles pour l'achever.
C'est aussi avec de pareils vaisseaux qu'il faut faire le Commerce de S. Domingue, étant rare qu'un plus grand bâtiment, à moins
qu'il ne veuille perdre la saison du retour, puisse trouver assez de marchandises préparées pour sa charge entière ; aussi la plupart
reviennent-ils à demi-charge. Les principales marchandises qu'on en tire, sont du sucre, du casse, de l'indigo, du coton, & des cuirs.
On peut employer des vaisseaux de toutes grandeurs, pour le négoce de la Martinique, & des autres Isles Françoises, parce que les
navires vont d'Isle en Isle faire leur chargement, y demeurant ordinairement jusqu'à la fin du mois d'Août, qu'on cesse de faire des
sucres ; les cannes, comme on dit aux Isles, montant alors en Mèche, c'est-à-dire, n'étant plus en état de donner du sucre. Le
temps le plus convenable pour partir de Bourdeaux, pour les Isles, est le mois de Novembre & de Décembre, afin d'y arriver au
mois de Février, que l'on commence à faire le sucre.
II part néanmoins des vaisseaux jusqu'à la fin de Mai; & même quelquefois le voyage peut être bon au mois d'Août, surtout, si les
vaisseaux sont chargés de bons vins d'arrière-saison, & que les chaleurs ayent été grandes aux Isles, parce que les vins des
premiers vaisseaux s'étant tournes, ceux qu'on y porte ensuite ne manquent pas de prendre saveur, & de se vendre tout ce qu'on
veut, argent comptant.
Une cargaison pour l'Amérique, d'un navire de 120 tonneaux, est ordinairement composée de 40 tonneaux de vin, de 50 barils de
farine, du poids de 250 liv. chacun ; de 20 barils d'eau-de-vie, de 20 barils de lard du pays , de 30 barils de bœuf d'Irlande, de 3000
aunes de grosse toile de 11 à 12 sols Panne, qui vient de Saintonge ou de S. Macaire ; de 15 tours, ou rouleaux de fer, pour les
moulins à sucre ; de toutes sortes d'ustensiles de cuivre & de fer, pour le ménage & le service des moulins, à peu près pour 500
livres ; de plusieurs formes, ou pots de terre, pour terrer les sucres ; de 6 fusils de Boucaniers, à 20 liv. pièce ; cette partie de la
cargaison est d'obligation ; de souliers & chapeaux de toutes sortes, environ pour 300 livres; d'étoffes, toiles, nipes, &c. pour
l'habillement des Habitans, pour 1000 livres ; 400 banques en bottes, avec les cercles & osier pour les relier, pour mettre le sucre ;
enfin d'une grande barrique en botte, contenant 10 à 12 tonneaux, pour servir à la charge & décharge des marchandises. Ce
dernier article n'est pas absolument nécessaire, parce qu'on en trouve de louage aux Isles.
Toute cette cargaison, suivant le prix ordinaire des marchandises, peut monter à 14000 liv. Les principales marchandises qu'on
rapporte des Isles, sont les sucres blancs & bruts, le coton, le gingembre, le canifice ou casse, l'indigo, le caret, le rocou, & le cacao
de Cayenne, de la Martinique & des Caraques. Ou n'entrera pas dans un plus grand détail du Commerce qui se fait aux Isles
Françoises.
On remarquera seulement, que dans les passeports qu'on accorde aux vaisseaux de Bourdeaux, pour le voyage des Isles Antilles,
de Cayenne, & de S. Domingue, il est expressément porté, qu'ils ne pourront faire leur retour à aucun des Ports de Nantes,
Dunkerque, ni Marseille, parce que ce sont des Ports francs.
Les cargaisons qu'on fait à Bourdeaux, pour la pêche de la morue, consistent en sel, plus ou moins, suivant que le navire peut
contenir de milliers de poisson verd, ou de quintaux de poisson sec; en lignes pour la pêche, en couteaux pour habiller le poisson,
en ais & planches de quoi faire les échafaudages; en tabliers, en clous, & en victuailles, comme vins, légumes &c. pour 8 à 9 mois.
Les navires qui vont au Banc, partent de Bourdeaux en Janvier, & peuvent aussi partir dans tous les autres mois de l'année, à la
réserve de ceux d'Octobre, Novembre, & Décembre.
Ceux qui vont en Terre-neuve, partent en Février, ou Mars, pour y arriver en Avril, ou au commencement de Mai, n'y ayant rien, ou
peu à faire pour ceux qui arrivent à la fin de ce dernier mois. Les retours des vaisseaux de Terre neuve, se font ordinairement à
Bourdeaux, Nantes, la Rochelle, Bayonne, Marseille, & Bilbao en Espagne. Il y en a quelquefois qui vont à Lisbonne, & à Cadix.
Ceux du grand Banc rapportent leur pêche à Bourdeaux, au Havre- de-Grace, à Nantes, & à la Rochelle. On ne paye point de droits
de sortie pour le sel qu'on employe à cette pêche, mais au retour du voyage, on paye 3 pour cent de la valeur du poisson. Les
vaisseaux de Bourdeaux, qui vont à la pêche de la baleine, partent en Avril & Mai : les retours dépendent du succès de la pêche,
revenant plutôt quand le poisson s'est présenté de bonne heure, & plus lard si c'est le contraire.
II est rare néanmoins que les Marchands de Bourdeaux ayent des vaisseaux en propre pour la pêche de la baleine ; mais il y en a
beaucoup qui s'intéressent dans les armemens qui se font pour cela à Bayonne, S. Jean de Luz, & S. Maso.
Le Commerce qu'on fait de Bourdeaux en Espagne, & d'Espagne à Bourdeaux, est peu considérable. On y eût envoyé des pots de
fer, & du papier de Périgord, du blé, du seigle, & autres grains, quand le transport en est permis, surtout du froment & des fèves.
Les marchandises qui en viennent par les retours, sont du fer plat, & du fer quarté, des ancres à navire, des avirons, des pierres à
aiguiser, des huiles e baleine, & des fanons ; des clous de poids & menus ; des laines, & des sardines, quand on en pêche à la Côte
d'Espagne. “