Bordeaux Aquitaine Marine
Histoire du canal du Midi
extrait de : Ernest Grangez - Traité de la perception des droits de navigation et de péage sur les fleuves, rivières et canaux -
Mathias, Paris, 1840 - (photos A. Clouet)
Le projet de la communication intérieure de la Méditerranée à l'Océan, par l'Aude et la Garonne, remonte au règne de François 1er
, sous lequel un plan fut dressé en 1539. Repris sous Charles IX et Henri IV, il ne fut sérieusement arrêté qu'en 1650. Riquet aperçut
le premier le moyen de résoudre la grande difficulté qui occupait alors tous les esprits. Ne connaissant de Colbert que son ardeur
pour le bien public, il s'en ouvrit cependant à lui, dans une lettre datée du 26 novembre 1552. Favorablement accueillie par le
ministre, l'idée fut soumise à Louis XIV, et dès le 18 janvier 1663, un arrêt du conseil ordonna l'examen du plan. Le dit de création
fut rendu en octobre 1666 : il fixait le péage à percevoir et érigeait le canal en fief dont la propriété devait être concédée à charge
d'entretien.
Le 14 du même mois Riquet se rendit adjudicataire de la première partie de l'entreprise, et le 23 janvier 1669, de la seconde partie,
c'est-à-dire du versant de la Méditerranée.
La navigation fut ouverte le 13 mai 1682 par Riquet et les commissaires du roi qui se rendirent à Béziers, conduisant avec eux 23
barques chargées de divers produits indigènes et étrangers, destinés à la foire de Beaucaire. Ainsi cet immense ouvrage avait été
terminé en 14 ans, sous la direction d'un seul homme, sans plus de dépenses que 17 millions de ce temps(représentant aujourd'hui
34 à 35 millions), dont les 2/3 furent fournis par la province et les états de Languedoc, et d'autres ressources qu'il avait crées, et
1/3 sur sa fortune particulière. Mais il ne devait pas être accordé à ce puissant génie de jouir de son triomphe. Succombant sous le
poids du travail et découragé par la malveillance, n'ayant d'autre appui que son énergie et l'amitié de Colbert, il s'était éteint le 1"
octobre 1680, six mois avant le succès de ses généreux efforts.
Les produits du canal étant, dans le principe, insuffisants pour acquitter les emprunts nécessités par la construction et couvrir
même les frais d'entretien. Les héritiers de Riquet furent obligés d'aliéner, sous condition de rachat, en 1683, 1/3 de la propriété,
en 1684 3/20, et en 1690 2/20. Ce ne fut qu'en 1724 qu'ils purent liquider ces dettes, et rentrer en jouissance de la totalité des
revenus.
Le canal du Midi, alors appelé canal des Deux-Mers ou du Languedoc, fut
administré par les descendants de Riquet jusqu'en 1789, d'après l'excellent
système de régie dont il était l'auteur et qu'il leur légua comme la meilleure
garantie de la conservation de son immortel ouvrage.
En 1792, une portion de la propriété appartenant à la branche aînée de la
famille de Caraman, fut séquestrée et le gouvernement s'empara de
l'administration du canal, en y joignant celle des canaux de Saint-Pierre et
de Narbonne, dont la propriété lui était échue par la suppression des états.
Cette administration fut confiée à divers ministères.
Le décret du 21 mars 1808 et la loi du 23 décembre 1809 ayant ordonné
que les canaux appartenant à l'Etat seraient aliénés, pour le produit en être
employé à la construction d'autres canaux, la portion du canal possédée par le gouvernement, fut vendue à la caisse
d'amortissement et divisée ensuite en 1000 actions dont quelques-unes furent vendues. L’Empereur acquit les autres pour son
domaine extraordinaire et les distribua, à titre de majorats et de pensions, à sa famille, à l'armée, à la Légion d'Honneur. Par un
décret du 10 mars 1810, les actionnaires fuient réunis en une société en commandite, dont les intérêts furent confiés à une
administration qui comprenait également les canaux d'Orléans et de Loing, dont la propriété avait subi le même sort que celle du
canal du Midi.
La loi du 5 décembre 1814 rendit à la branche aînée des descendants de Riquet son ancienne propriété, l'appelant à entrer en
jouissance, dès ce moment, des actions restées libres et à réunir celles qui pourraient le devenir en faisant retour à l'Etat. Enfin une
ordonnance royale du 25 avril 1823 admit dans la compagnie les membres de la branche cadette, divisa leur portion de propriété (6
portions 1/3 sur 28), dont ils n'avaient cesse de jouir, pendant l'administration du gouvernement, en 292 actions qui, ajoutées aux
1000 actions déjà formées, firent un nombre total de 1292 actions, représentant aujourd'hui la propriété du canal du midi. Cette
ordonnance, en maintenant l'assemblée des 30 plus forts actionnaires, lui conféra tous les droits auparavant réservés à l'intendant
du domaine extraordinaire. C'est sur ces bases que repose maintenant l'administration du canal du Midi, y compris ses
embranchements. Les 1000 actions formées par l'Empereur de la portion du canal principal séquestrée, comprenaient !e canal de
Saint-Pierre, celui de Narbonne dit de jonction, et le roubine de ce nom.
Le droit de péage primitif était de 6 deniers (0 fr. 025) par quintal, poids de marc (25 kil.) et par distance de 3061 toises (5,950"»)
avec charge de fournir les barques de transport et de répondre des marchandises. Ce droit a été remplacé, en vertu de la loi du 21
vendémiaire an V (1796),par celui de 5 deniers 2/3 par quintal, en le rendant indépendant des frais de conduite et de
responsabilité.
Ce tarif ayant été mal interprété et perçu à raison de 4 deniers 75, un décret du 6 frimaire an XIV (27 novembre 1805) prescrivit une
rectification qui ne s'appliquait qu'à cet ancien système de mesure. On substitua 4 deniers 695 à 5 deniers 2/3. C'est donc par
erreur que l'on a dit dans la note, page 183, que le décret dont il s'agit n'avait fait que substituer les mesures métriques aux
anciennes.
La taxe générale est de 0 f. 40 par tonne pour 5 kilomètres, en conformité de la loi de vendémiaire an V, sauf quelques exceptions
qui sont en trop petit nombre. Mais une réduction est arrêtée en principe, et un nouveau tarif sera établi lors de l'ouverture du
canal latéral à la Garonne, qui vient d'être commencé.
Le canal du Midi est divisé, pour la perception, en 48 distances de 5000 m plus une fraction de 943 m, qui doit être comptée
comme entière. Le tarif est muet à l'égard des bateaux vides. En principe la marchandise qui se meut est seule assujettie au droit.
Cette liberté est sans doute avantageuse au commerce, mais s'il est
convenable de ne pas l'entraver par des droits qui sont fort élevés, comme
sur plusieurs lignes, il est juste aussi de remédier, sur d'autres, aux abus
qu'entraîne l'absence de tout droit, quand il ne s'agit que du simple
agrément des promeneurs. Les barques, qui naviguent sur les canaux du
Midi, sont pontées. Les dimensions qu'elles ne peuvent légalement
dépasser sont : pour la longueur,de 28 m, gouvernail compris, et pour la
plus grande largeur de 5m25. Leur tirant d'eau sur le canal principal, sur
ceux de Saint-Pierre et de jonction, ne peut excéder 1m60, ce qui permet
un chargement de 100 à 120 tonneaux. Il est réduit à 1m sur la Roubine, et
même à moins pendant les basses eaux.
Indépendamment des bateaux du commerce, l'administration du canal y
fait naviguer des barques, dites accélérées, pour le transport des
marchandises pressées. Elles sont pontées ; leur tonnage est de 50 à 60
tonneaux, et la vitesse de 6000 m à l'heure. Les bateaux-poste, qui font le service entre Toulouse et Beaucaire pour le transport des
voyageurs et de leurs effets, peuvent porter 150 individus, et font 11,000 m à l'heure. Le trajet comprend :
•
Sur le canal du Midi 240,983 m
•
Traversée de l'étang de Thau environ 20,000 m
•
Canaux des Etangs, en droite ligne 38,186 m
•
Canaux de la Radelle et de Beaucaire 59,300 m
Soit un total de 358,469 m.
Lorsqu'au lieu de traverser directement l'étang de Thau, entre le port des Onglous (extrémité orientale du canal du Midi) et le pont
de la Peyrade, les bateaux-poste passent par Cette, en suivant les canaux de Cette et de La Peyrade, il faut ajouter 2,500m au
nombre de 358,469, ce qui porte à 360,500m environ ou 90 lieues de poste, le trajet entier de Toulouse à Beaucaire, qui doit être,
au termes du tarif, effectué en 72 heures au plus, sauf réduction du péage. Ce trajet est à peu près celui que font actuellement les
barques de poste et les bateaux accélérés.
Le canal à Marmande.
M. Teisserenc a donné, dans son ouvrage sur les Travaux publics, les renseignements qui suivent sur les produits du canal du Midi.
De 1680 à 1720, les revenus, comme on vient de le dire, ont été au-dessous des dépenses. De 1680 à 1795, ils ont été
moyennement de 420,000 fr. par an. Ils se sont accrus depuis cette époque jusqu'en 1810.
Les produits pendant 27 ans, à partir de cette dernière année, ont été savoir:
Droits de navigation 50,600,410 f.
Coupes d'arbres et produits divers 5,646,386 f.
Soit année moyenne 1,875,808 f pour un total de 56,247,216 f
Les dépenses annuelles étant portées à 540,000 f. Il reste pour bénéfice net 1,335,808 f. D'où il résulte que le canal rapporte, eu
égard aux dépenses d'exécution, 4 % ; mais en réalité pour les concessionnaires, ainsi que le fait observer M. Teisserenc, 15 ½ %.