Bordeaux Aquitaine Marine
La triste carrière du «Ville de Bordeaux» (1836-1852)
1. Aut
our du Ville de Bordeaux -
Du Ville de Bordeaux à la rivière Torrens en passant par le Grand Père Rieu
Que
vient
faire
le
Grand
Père
Rieu
avec
ce
trois
mâts
sur
lequel
il
n’a
pas
navigué
et
la
rivière
Torrens
qu’il
n’a
pas
remontée
?
C’est une histoire tirée par les cheveux . Une histoire pour amateur d’histoires petites et grandes.
Du
Ville
de
Bordeaux
,
il
ne
reste
que
que
le
tableau
arrière,
que
je
n’ai
pas
vu
et
la
figure
de
proue
devant
laquelle
je
suis
restée
interloquée
.
Un
simple
marin
maniant
le
harpon
mais
avec
comme
titre
de
la
légende
«
Ville
de
Bordeaux
»
.
Le
Ville
de
Bordeaux
construit
à
Bordeaux
en
1836
est
parti
à
la
chasse
à
la
baleine
dans
les
mers
du
Sud.
Hélas
pour
lui,
par
la
suite,
son
capitaine
a
fait
du
commerce
illégal
en
Australie
et
le
trois
mâts
s’est
retrouvé
porte
lanterne
de
1848
à
1852
à
l’embouchure
d’une
petite
rivière
.
Et
ce
n’est
pas
tout,
destin
ignominieux
pour
ce
fier
mais
très
robuste
bateau,
il
est
devenu
soute
à
charbon ambulante avant de partir à la casse en 1860.
C’éta
it
la
première
figure
de
proue
d’une
collection
exposée
au
musée
de
Port
Adélaïde
que
j’ai
eu
le
plaisir
de
visiter
lors
de
notre
dernier
jour
complet
en
Australie
juste
avant
notre
départ
pour
Sydney
pendant
que
les
autres
vacanciers
se
reposaient
sur
un
banc
face
à
la
mer.
Cette
figure
de
proue
avait
été
restaurée
avec
amour
et
plus
tard
je
j’apprendrai
comment
elle
a
survécu
au
démantèlement
du
voilier.
Évidemment,
avec
sa
construction
en
1836
sur
les
chantiers
navals
de
Bordeaux,
le
Ville
de
Bordeaux
était
contemporain
de
l’implantation
dans
le
sud
de
l’Australie
de
cette
colonie
formée d’hommes libres dont les habitants d’Adelaïde sont si fiers.
Après
de
longues
années
de
tergiversations
du
parlement
du
Royaume
Uni,
le
projet
de
Wakefield
bien
servi
par
Gouger,
son
secrétaire
philanthrope
qui
s’en
fit
l’ardent
avocat,
finit
par
être
accepté
.
Il
s’agissait
d’implanter
en
Australie
du
Sud
des
gens
modestes
aspirant
à
une
vie
meilleure.
L'idée
maitresse
de
Wakefield
était
que
le
gouvernement
devait
contrôler
les
terres
et
ne
les
vendre
que
si
le
prix
des
terrains
à
vendre
se
situait
à
un
niveau
assez
haut
pour
le
rendre
inabordable
aux
ouvriers
agricoles
et
aux
journaliers.
L'argent
recueilli
par
la
vente
des
terres
était
utilisé
pour
faire
venir
des
émigrants
travailleurs
qui
devaient
travailler
dur
pour
les
colons
déjà
installés
avant
de
pouvoir
acquérir
une
propriété.
La décision précisait que les colons pourraient s’installer dans cette région à condition de ne pas porter préjudice aux premiers occupants.
Le
premier
débarquement
de
colons,
avec
Gouger
comme
secrétaire
général,
eut
lieu
en
novembre
1736,
à
Glenelg
.
Mais
la
proclamation
de
l’implantation
de
la
nouvelle
colonie
n’eut
lieu
que
le
28
décembre,
le
lendemain
de
l’arrivée
du
HSM
(Her
Majesty’s
Ship)
Buffalo,
qui
amenait
le
représentant
de
sa
majesté
William
lV,
le
futur
Gouverneur,
Sir
John
Hindmarsh
.
Aujourd’hui,
le
syndicat
d’initiative
de
Glenelg
abrite
un
grand
tableau,
peint
plusieurs
années
après,
qui
représente
la
cérémonie
de
«la
Déclaration»,
acte
fondateur
de
la
colonie
de
l’Australie
Méridionale.
Et
n’y
cherchez
pas
parmi
les
dames,
comme
je
l’ai
fait,
Harriet
l’épouse
de
Gouger.
Elle
était,
à
l’arrière,
dans
la
tente
entrain
d’endurer
les
douleurs
de
l’enfantement
d’un
petit
garçon
qu’elle
mettra
au
monde
le
lendemain. Joie de courte durée pour Gouger qui perdra dès mars 1837 et sa femme et son fils.
Proclamation
de la colonie de l’Australie du Sud (tableau de Charles Hill)
Ils
ont
débarqué
à
Glenelg
me
direz-vous
.
Alors
pourquoi
Adélaïde
?
D’abord
cette
côte
est
incroyablement
malsaine
,
sans
port
en
eau
profonde.
Ce
n’était
que
boue,
palétuviers
et
marécages
.
Et
pas
d’eau
non
plus
pour
y
implanter
une
ville
.
C’est
le
Colonel
William
Light,
le
topographe
en
chef
l’expédition,
qui
a
imposé
le
choix
du
site
d‘Adélaïde
situé
plus
loin,
dans
les
terres,
près
du
fleuve
Torrens
qui
bien
sûr
ne
se
nommait
Torrens
à
cette
époque
mais
Karra
Wirra
Parri,
nom
donné
par
le
peuple
Kaurna
qui
occupait
cette
région
.
Il
a
été
nommé
Torrens
d’après
le
Colonel
Robert
Torrens
économiste
célèbre
membre
fondateur
important
de
la
ville
.
Ce
fleuve
de
86
km
et
ses
affluents
irriguent
les
plaines
de
la
région
d’Adelaide
.
Ils
sont
bien
capricieux
et
ont
donné
beaucoup
de
fil
à
retordre
aux
nouveaux
venus
et
à
leurs
descendants
.
Le
fleuve
Torrens
source
d’eau
potable
baigne
le
nord
de
la
ville
et
a
été
suffisamment
dompté pour qu’on puisse maintenant se promener agréablement sur ses rives.
Et
bien,
c’est
le
fils
de
ce
Torrens,
nommé
également
Robert
Torrens,
receveur
des
douanes
depuis
1840
à
Adélaïde
qui
a
saisi
le
Ville
de
Bordeaux
soupçonné
de
faire
du
commerce
entre
les
ports
d’Australie
ce
qui
était
interdit
à
tous
les
étrangers.
Si
le
colonel
Light
avait
choisi
d’implanter
la
future
ville
d’Adelaïde
près
de
la
source
d’eau
potable,
tous
les
contacts
avec
l’extérieur
et
l’arrivée
des
immigrants
se
faisaient
par
la
mer.
Il
était
donc
essentiel
qu’un
port
accompagne
la
nouvelle
ville
.
Light
choisit
le
site
de
Port
River
décrit
par
un
navigateur
quelques
années
auparavant
.
Mais
quel
port
!
Il
était
formé
par
l’embouchure peu profonde d’une petite rivière qui s’étalait dans la boue et les marais gîtes de hordes de moustiques . Il lui donna le nom de Port Creek.
Une tribu d’aborigènes sur les ri
ves de la rivière Torrens - 1850 (Alexander Shramm)
Dès
janvier
1837
le
premier
Maître
de
port
s’installa
sur
les
lieux
qui
en
1840
prirent
le
nom
de
Port
Adélaïde,
Adélaïde
étant
le
prénom
de
la
reine
consort
épouse
de
William
lV.
Les
gros
bateaux
ne
pouvant
accoster,
de
petites
embarcations
faisaient
la
navette
.
Pour
rejoindre
Adélaïde
à
marée
basse,
les
immigrants
devaient
crapahuter
au
milieu
de
la
boue,
des
palétuviers
et
des
dunes
.
Light
avait
bien
conçu
de
creuser
un
canal
entre
les
deux
centres
.
Mais
la
colonie
était
bien
trop
impécunieuse
pour
réaliser
un
tel
projet
.
L’endroit,
qui
était
sujet
à
inondations
lors
des
grandes
marées,
et
qui
manquait
aussi
cruellement d’eau potable gagna le surnom de port Misery. Voilà donc sur quel site le Ville de Bordeaux veillait après avoir parcouru les mers du Sud .
Il
ne
reste
plus
qu’à
parler
du
lien
qui
unit
ce
trois
mâts
au
grand-père
Rieu.
Il
est
un
peu
tiré
par
les
cheveux
mais
c’est
bien
grâce
à
lui
que
j’ai
pu
découvrir
de
façon
plus
approfondie
la
triste
destinée
du
Ville
de
Bordeaux
.
A
la
recherche
de
détails
sur
le
Var,
trois
mâts
à
moteur
sur
lequel
François
Rieu
avait
embarqué
pour
venir
en
Nouvelle-Calédonie,
je
suis
tombée
sur
le
site
fort
intéressant
d’Alain
Clouet
qui
étudie
la
flotte
de
Napoléon
lll
et
j’ai
utilisé
ses
renseignements
pour
décrire
le
Var
.
Pendant
que
ça
pouvait
l’intéresser,
je
lui
ai
envoyé
la
photo
de
la
fameuse
figure
de
proue
.
Et
oui,
justement,
il
s’était
penché aussi sur le triste sort de notre trois mâts dont il m’a envoyé l’histoire que voici .
Françoise Arrighi
2. Le « Ville de Bordeaux » – Une triste carrière
En
1836,
le
trois-mâts
baleinier
Ville
de
Bordeaux
du
port
de
622
tonneaux,
est
mis
à
l’eau
dans
le
chantier
de
M.
Courau
à
Bordeaux
pour
le
compte
de
l’armateur
bordelais
Auguste
David
1
.
C’est
un
des
rares
baleiniers,
peut-être
le
seul
construit
à
Bordeaux
au
19e
siècle.
C’est
ce
qui
fait
son
originalité
mais
pas
seulement. En effet, il ne cessa de défrayer la chronique locale tout au long de sa vie passée en Australie.
Le
Ville
de
Bordeaux
sous
le
commandement
du
capitaine
Largeteau
part
en
février
1837
pour
son
premier
voyage
baleinier
qui
commence
par
les
zones
de
pêche
autour
des
îles
Sandwich.
Les
instructions
données
à
Largeteau
par
son
armateur
sont
clairement
définies
:
«
le
voyage
serait
de
vingt
mois
ou
deux
ans
au
plus,
et
que
le
chargement
à
obtenir
de
3.000
barils
d’huile
».
Au
cours
des
années
1838
et
1839,
Largeteau
envoie
des
rapports
rassurants
indiquant
«
sans
annoncer un résultat très favorable, promettait l’espoir d’un retour prochain avec son chargement complet ».
Le
19
février
1840,
Largeteau
écrivait
que
«
naviguant
dans
les
mers
de
la
Nouvelle-Zélande,
signalait
à
son
armateur
diverses
avaries
survenues
au
navire,
et,
tout en annonçant son peu d'espoir de compléter son chargement, déclarait qu'il n'y aurait pour lui de relâche qu'à Bordeaux
2
».
On
le
retrouve
pour
une
brève
escale
à
Akaora
(Nlle
Zélande)
en
janvier
1840
d’où
il
appareille
pour
Sydney
où
il
arrivera
le
28
mars.
Lors
du
débarquement,
le
capitaine
Largeteau
informe
les
autorités
douanières
que
son
navire
a
besoin
de
réparations.
Dans
les
jours
qui
suivent,
le
navire
est
inspecté
par
les
autorités
et déclaré non-navigable. Les travaux à engager semblent en outre considérables (10.000 £). Le navire est immobilisé sur place.
En
mai,
Largeteau
cherche
des
acquéreurs
pour
le
navire
et
sa
cargaison
(3300
barils
«
d’huile
noire
»
et
quelques
tonnes
de
chair
de
baleine).
Si
la
vente
de
la
cargaison
fut
rapide
au
prix
de
2.678
£,
il
n’en
alla
pas
de
même
du
navire.
Une
première
vente
aux
enchères
publiques
le
8
mai
à
un
certain
William
Srewart
pour 1.250 £, fut annulée pour cause non-paiement.
Remis
en
vente
le
7
juillet,
le
navire
fut
adjugé
à
nouveau
1.250
£.
Le
nom
de
l’adjudicataire
est
M.
Abercombry.
Mais
le
même
jour,
Largeteau
écrivait
sur
l’acte
de
francisation
qu’il
avait
transféré
un
tiers
du
navire
au
sieur
Joubert,
de
Sidney,
et
les
deux
autres
tiers
au
sieur
Bernard,
qui,
plus
tard,
dès
le
20
août
suivant,
transféra
ces
deux
tiers
au
sieur
Joubert.
Il
convient
de
noter
que
Joubert
et
Bernard
,
binationaux
franco-anglais
étaient
ses
agents
à
Sydney.
Cet
acte
rendait nulle la vente à M. Abercombry.
Largeteau
a
«
oublié
»
une
formalité
:
Auguste
David
le
propriétaire
du
navire
n’a
pas
été
informé
de
la
vente,
rendant
cette
dernière
illégale.
Il
empoche
le
produit
de
la
vente
et
s’enfuit
discrètement
en
Inde
quelques
jours
plus
tard.
L’acte
de
baraterie
est
dès
lors
caractérisé.
C’est
seulement
le
24
juillet
que
Largeteau
informa
son
armateur
de
sa
relâche
à
Sidney,
par
suite
d'avaries
plus
considérables,
du
procès-verbal
d'avaries
et
des
ventes
de
la
cargaison
et
du
corps du navire.
Les
nouveaux
propriétaires
franco-anglais
3
furent
encouragés
par
les
autorités
locales
à
conserver
le
pavillon
français
et
à
trouver
un
capitaine
français.
Ils
remirent
en
état
le
Ville
de
Bordeaux.
Le
nouvel
équipage
était
de
35
marins
dont
quelques
marins
français
de
l’ancien
équipage
ayant
accepté
de
rester
à
bord.
Le
26
août
1840,
le
Ville
de
Bordeaux
enfin
réparé,
quitte
Sydney.
Une
organisation
contraire
aux
usages
fut
mise
en
place
à
bord
par
l’armateur.
Le
commandement
du
bateau
fut
confié
à
un
superintendant,
Thomas
Lyell
Symers,
seules
les
opérations
journalières
restèrent
du
domaine
du
capitaine
Pierre
Parnelle
(précédemment
lieutenant
de
vaisseau
de
la
marine
française).
Cette
organisation
inhabituelle
ne
pouvait
que
conduire
à
des
dissensions
au
sein
de
l’équipage et c’est ce qui arriva.
Dès
le
départ
de
Sydney,
des
marins
refusèrent
de
faire
leur
quart
et
le
navire
ne
put
quitter
le
port.
Un
contingent
de
marins
du
HMS
Favorite
dur
être
transféré sur le
Ville de Bordeaux,
pour hisser les voiles et appareiller.
Le
départ
eut
finalement
lieu
le
27
août
1840
pour
Lombok
(Indonésie)
en
passant
par
le
détroit
de
Torrès
et
Port
Assington.
Le
but
officiel
du
voyage
était
de
faire
du
trading.
Mais
en
réalité,
les
instructions
qu’avait
reçu
Symers
étaient
de
se
débarrasser
du
navire
en
le
vendant
au
plus
offrant.
Arrivé
à
Lombok,
il
chercha
en
vain
à
vendre
le
bateau.
Dès
lors,
contrairement
à
ses
instructions,
il
acheta
une
cargaison
de
130
tonnes
de
paddy
4
,
300
sacs
de
riz,
25
poneys
du
Timor
et
d’autres
marchandises
asiatiques,
avec
l’intention
de
la
revendre
dans
la
colonie
de
Swan
River
en
Australie
Occidentale.
Avant
le
départ
de
Lombok,
il reçut la visite d’un certain Walter Waston Hughes, capitaine du brick Hero et trafiquant d’opium.
Le
Ville
de
Bordeaux
partit
de
Lombok
pour
arriver
à
Fremantle
le
28
novembre.
Bien
qu’il
ait
déchargé
et
vendu
une
partie
de
sa
cargaison,
ses
activités
furent,
à
ce
qu’on
dit,
sanctionnées
par
le
gouvernement
d’Australie
occidentale,
car
étant
en
contravention
avec
le
Navigation
Act
de
Grande-Bretagne
qui
interdit
aux
navires
n’appartenant
pas
à
ses
ressortissants
ou
aux
navires
enregistrés
à
l’étranger
de
faire
du
commerce
entre
ports
de
l’empire
britannique.
Les
douanes
auraient
aussi
permis
au
Ville
de
Bordeaux
de
transporter
un
petit
lot
de
farine,
de
bœuf
et
de
porc
appartenant
au
gouvernement
pour
ravitailler
la
colonie
de
King
George
Sound
(état
d’Albany).
C’est
là
que
le
capitaine
Parnelle
fut
remplacé
par
Henri
Bon,
lui
aussi
ancien
officier
de
la
marine
française,
pour
le
transit
jusqu’au
port
suivant
de
Holdfast
Bay
en
Australie
du
sud.
Ce
remplacement
avait
été
officialisé
sur
le
registre
du
bord
par
le
Magistrat
Résident
de
l’Albany.
C’est
probablement
cette
nomination
qui
incita
quelques
matelots
britanniques
à
montrer
une
humeur
de
«
mutins
».
Cependant,
la
majorité
de
l’équipage
continua à suivre les ordres.
Port Adélaïde 1846 peint par Georg
es French Angas - Le Ville de Bordeaux apparaît avec sa coque blanche à droite du tableau.
Après
avoir
fait
un
bref
séjour
à
King
George
Sound,
le
Ville
de
Bordeaux
partit
pour
Holdfast
Bay
où
il
arriva
le
29
janvier
1841.
Là,
Symers
agissant
en
tant
que
superintendant,
fit
l’achat
de
2000
moutons
auprès
d’un
éleveur
local.
Ces
moutons
furent
chargés
à
bord
et
vendus
à
l’île
Bourbon
5
,
aux
dires
du
capitaine
Biron.
Symers
notifia
aux
douanes
du
port
d’Adélaïde
l’arrivée
du
Ville
de
Bordeaux
,
mais
omis
de
produire
les
papiers
du
bord.
Dans
le
même
temps,
un
des
membres
de
l’équipage,
le
matelot
breveté
John
Lloyd
écrivit
au
Magistrat
Résident
d’Adélaïde
et
refusa
d’obéir
aux
ordres
du
capitaine
Biron
jusqu’à
l’arrivée
de la réponse du magistrat. Une douzaine de matelots suivirent le mouvement et furent consignés dans un local du bord, nourris seulement de pain et d’eau
6
.
Le
soir
du
12
février,
le
Ville
de
Bordeaux
reçut
la
visite
du
Percepteur
des
Douanes
Robert
Richard
Torrens
qui
avait
été
averti
du
contenu
de
la
lettre
de
Lloyd
et
qui
soupçonnait
la
cargaison
de
moutons
7
déclarée
comme
allant
à
Fremantle,
d’être
en
violation
des
Navigation
Acts.
Après
deux
tentatives
pour
rencontrer
Symers
qui
était
toujours
«
à
terre
»
quand
il
venait
à
bord,
Torrens
informa
le
second
capitaine
John
William
Charlton
que
la
cargaison
de
moutons
ne pourrait être chargée à bord. De plus, le navire devrait se rendre à Adélaïde pour subir une inspection complète.
Au
matin
du
14
février,
les
douaniers
John
Anthony
et
John
Lockyer
montèrent
à
bord
sur
ordre
de
Torrens
et
du
gouverneur
George
Gawler,
pour
placer
le
navire sous le commandement d’un pilote et rejoindre Adélaïde.
Ce
qui
arriva
ensuite
varie
selon
les
sources
historiques.
D’après
le
journal
de
bord
du
Ville
de
Bordeaux,
l’équipage
reçut
l’ordre
de
lever
l’ancre,
alors
que
Anthony
et
Lockyer
ne
pouvaient
prouver
qu’ils
étaient
autorisés
à
saisir
le
navire.
Cependant
Anthony
déclara
plus
tard
sous
serment
que
Symers
pris
le
commandement en menaçant tous ceux qui s’opposeraient au départ de les tuer un par un.
Quelque
soit
la
version,
le
Ville
de
Bordeaux
fit
voile
dans
le
golfe
de
St.
Vincent
avec
Symers
à
la
barre.
Il
laissa
la
possibilité
aux
deux
douaniers
de
débarquer
immédiatement. Lockyer accepta l’invitation, mais Anthony refusa car il « n’avait pas accompli son devoir ».
Le
Ville
de
Bordeaux
quitta
rapidement
Holdfast
Bay.
Torrens
fut
immédiatement
prévenu.
Il
réquisitionna
immédiatement
une
baleinière
et
s’élança
à
la
poursuite
du
navire
accompagné
de
l’inspecteur
de
police
Alexander
Tolmer,
mais
il
dut
rapidement
y
renoncer.
Les
deux
hommes
montèrent
alors
à
bord
du
vapeur
à
roues
Courier
pour
poursuivre
leur
chasse.
Le
Courier,
après
un
départ
laborieux
se
mit
à
la
recherche
du
Ville
de
Bordeaux
dans
le
golf
St
Vincent.
Les
trois
jours
suivants,
le
Courrier
et
le
Ville
de
Bordeaux
sillonnèrent
le
golfe
sans
jamais
se
croiser.
L’après-midi
du
17
février,
Lloyd
et
d’autres
mutins
du
Ville
de
Bordeaux
montèrent sur la dunette pour exiger le retour du navire à Holdfast.
Selon
le
journal
de
bord,
la
demande
fut
refusée
et
les
échanges
verbaux
qui
s’ensuivirent
furent
violents.
Dans
son
témoignage
le
douanier
Anthony
rappelle
que
Lloyds
et
les
mutins
demandaient
leur
retour
à
Holdfast
à
cause
des
restrictions
sur
leurs
rations.
Il
affirma
en
outre
que
Symers
menaçait
les
hommes
avec
ses
pistolets
quand
ils
refusèrent
de
quitter
la
dunette,
ce
que
le
journal
de
bord
ne
mentionne
pas.
Ils
revinrent
voir
Symers
une
deuxième
fois,
réussirent à le ceinturer cependant que d’autres mutins prenaient la barre.
Le
Ville
de
Bordeaux
arriva
à
Holdfast
Bay
et
fut
saisi
immédiatement
par
la
douane.
Il
fut
remorqué
dans
le
port
dès
le
lendemain
et
Symers
et
Biron
furent
inculpés.
Le
motif
de
l’inculpation
était
la
violation
des
Navigation
Acts,
le
navire
ayant
fait
une
escale
dans
un
port
britannique.
Le
juge
ordonna
donc
que
le
navire fut attribué au gouvernement britannique.
Le
8
mars
1842,
la
corvette
française
l’Héroïne,
commandée
par
le
CF
Favin-Lévêque,
arrive
à
Holdfast
Bay.
A
son
bord
se
trouve
Didier
Joubert
chargé
d’enquêter
sur
la
confiscation
du
Ville
de
Bordeaux
et
de
faire
un
rapport
au
gouvernement
français.
Malgré
ses
demandes
pour
récupérer
le
navire
au
nom
du
gouvernement français, le nouveau gouverneur de la colonie, Sir John Grey refusa la restitution. Joubert dut donc réembarquer sur
l’Héroïne
un mois plus tard.
Le
gouvernement
français
trouva
finalement
un
arrangement
avec
les
anglais
qui
acceptèrent
de
dédommager
le
propriétaire
d’un
montant
de
4.000
£.
Cette
somme fut consignée en Angleterre en attendant un jugement en France.
En
attendant
le
règlement
du
contentieux
franco-britannique,
le
navire
resta
mouillé
dans
Port
River.
Mal
entretenu,
il
se
dégrada
rapidement.
En
1846,
le
peintre
George
French
Angas
fit
un
tableau
du
navire
à
l’abandon
en
face
des
magasins
de
la
Cie
d’Australie
du
Sud.
Il
était
alors
utilisé
comme
bateau-feu
à
l’entrée
de
Port
River
jusqu’en
1852,
date
du
rachat
de
la
coque
par
un
charpentier
du
nom
de
Fletcher
qui
le
dépeça
dans
son
chantier.
Seuls
furent
conservés
la
figure
de
proue
(un
homme
barbu
tenant
un
harpon)
et
le
tableau
arrière
du
navire,
que
l’on
peut
encore
admirer
au
«
South
Australian
Maritime
Museum».
Largeteau
fut
traduit
en
justice
devant
le
Tribunal
de
la
Seine
le
9
juin
1846
qui
déclara
nulle
le
vente
du
navire,
comme
entachée
de
baraterie,
et
alloua
l’indemnité de 4.000 £ (100.000 frs) consignée en Angleterre, à l’armateur Auguste David, légitime propriétaire du navire.
Alain Clouet
Sources
- James Hunter, History Trust of South Australia, ‘Ville de Bordeaux’,
- SA History Hub, History Trust of South Australia,
- Procès du capitaine Largeteau - in Archives du Commerce, T37-1, 1846
3. Compte-rendu du procès tenu au tribunal de la Seine à Paris en 1846
«
—
Baraterie.
—
Indemnité
de
1oo,ooo
francs
accordée
par
le
Gouvernement
anglais.
Le
Tribunal
de
commerce
de
la
Seine
vient
de
résoudre
aujourd'hui,
à
l'occasion
de
faits
de
baraterie,
plusieurs
questions
de
droit
maritime
d'une
grande
importance
et
qui
intéressent
tous
les
armateurs.
Il
s'agissait
d'examiner
si
un capitaine avait le droit de vendre un navire dont le commandement lui avait été confié, et dans quelles circonstances ce droit peut être exercé.
Voici les principaux considérans du jugement, qui suffiront à faire connaître les faits :
-
Attendu
que
des
faits
et
documens
du
procès,
il
résulte
qu'Auguste
David,
armateur
de
Bordeaux,
fit
construire,
en
1836,
un
navire
à
trois
mâts,
du
port
de
622 tonneaux, appelé la
Ville-de-Bordeaux
;
-
Qu'il
fut
armé
à
ses
frais,
pourvu
d'un
acte
régulier
de
francisation,
et
expédié,
en
février
1837,
dans
les
mers
du
Sud
pour
la
pêche
de
la
baleine,
sous
la
conduite du capitaine Largeteau ;
-
Que
parmi
les
instructions
détaillées
par
lui
données
au
capitaine
dans
la
forme
ordinaire,
il
était
dit
que
le
voyage
serait
de
vingt
mois
ou
deux
ans
au
plus,
et que le chargement à obtenir de 3,ooo barriques d'huile ;
-
Attendu
que
les
premières
communications
du
capitaine
Largeteaux
en
cours
de
voyage
pendant
les
années
1838
et
1839,
sans
annoncer
un
résultat
très-
favorable, promettaient l'espoir d'un retour prochain avec son chargement complet ;
-
Que,
le
19
février
1840,
ce
dernier,
naviguant
dans
les
mers
de
la
Nouvelle-Zélande,
signalait
à
son
armateur
diverses
avaries
survenues
au
navire,
et,
tout
en
annonçant son peu d'espoir de compléter son chargement, déclarait qu'il n'y aurait pour lui de relâche qu'à Bordeaux ;
- Que, cependant, loin que cette dernière prévision ait pu se réaliser, il arrivait à Sidney (Nouvelle-Zélande) le 26 mars 184o ;
- Qu'aussitôt après, il choisissait, pour consignataires dudit navire, les sieurs Joubert et Murphy, négocians français, établis dans la colonie ;
-
Que,
le
28
mars,
des
experts,
appelés
par
ces
derniers
pour
visiter
le
navire,
signalèrent
une
voie
d'eau
et
diverses
avaries
;
qu'ils
recommandèrent
d'alléger
le bâtiment, et de le décharger même au besoin ;
-
Que,
deux
jours
après,
Joubert
et
Murphy
firent
publier
dans
les
journaux
de
Sidney,
des
18
mars,
2
et
4
avril,
que
des
offres
seraient
reçues
par
eux
pour
un
prêt à la grosse d'une somme 1o,ooo livres sterling sur le corps et la cargaison de la Ville-de-Bordeaux, pour les réparations à faire à ce navire ;
-
Qu'ils
firent
également
annoncer
dans
les
mêmes
journaux
des
7
et
9
du
même
mois,
la
vente
à
l'encan
de
3,3oo
barils
d'huile
noire
et
de
quelques
tonneaux
de fanon de baleine, provenant de la cargaison du navire la Ville-de-Bordeaux ;
- Que cette vente eut lieu le lendemain et produisit une somme de 2,678 liv. sterling à peine suffisante pour payer les frais affectés de séjour à Sidney ;
-
Attendu
qu'après le déchargement du navire, les experts procédèrent de nouveau à sa visite, sur la demande de Joubert et Murphy ;
-
Qu'il
résulte
de
leur
rapport
qu'après
avoir
reconnu
les
avaries,
ils
déclarèrent
d'une
opinion
unanime
que,
pour
mettre
le
navire
en
état
de
tenir
la
mer,
une
grande dépense était indispensable ; »
-
Attendu
qu'après
une
tentative
infructueuse
de
Joubert
et
Murphy
pour
obtenir
les
agrès
et
fournitures
nécessaires
à
la
réparation
à
des
prix
modérés,
le
corps
du
navire
fut
mis
en
vente
par
le
capitaine
Largeteau,
et
adjugé
une
première
fois
aux
enchères
publiques,
le
8,
à
un
sieur
Williams
Stewart,
moyennant
la
somme
de
3,2o1
liv.
st.,
et,
par
suite
de
non-paiement
de
ce
dernier
et
de
sa
disparition
de
la
colonie,
revendu
de
nouveau,
le
7
juillet,
à
un
sieur
Abercombry
et
compagnie
pour
la
somme
de
1,25o
liv.
st.
;
»
Que
c'est
seulement
le
24
juillet
184o,
et
ces
faits
accomplis»
que
le
capitaine
Largeteau
informa
son armateur de sa relâche à Sidney, par suite d'avaries plus considérables, du procès-verbal d'avaries et des ventes de la cargaison et du corps du navire ;
-
Que
ces
ventes,
quoique
présentant
les
apparences
de
la
légalité,
n'étaient
pas
sérieuses,
puisqu'à
la
même
date,
le
capitaine
Largeteau
déclarait,
sur
l'acte
même
de
francisation,
qu'en
vertu
des
pouvoirs
dont
il
était
revêtu
par
l'art.
237
du
Code
de
commerce
et
de
l'art.
5
de
la
police
d'assurances
de
la
place
de
Bordeaux,
il
avait
transféré
un
tiers
du
navire
au
sieur
Joubert,
de
Sidney,
et
les
deux
autres
tiers
au
sieur
Bernard,
qui,
plus
tard,
dès
le
2o
août
suivant,
transféra ces deux tiers au sieur Joubert ;
-
Attendu
que
le
26
août
suivant,
la
Ville-de-Bordeaux
,
complètement
réparé,
reprit
la
mer,
sous
le
commandement
du
capitaine
Parnel,
sous
pavillon
français,
avec un équipage anglais ;
-
Qu'en
cours
de
voyage,
Parnel
fut
remplacé
par
Symers,
et
que,
par
suite
de
contravention
aux
lois
de
douane
anglaises,
ce
navire,
employé
au
cabotage
inter-colonial, fut saisi par les officiers de la douane de Port Adélaïde, à la fin de janvier 1841 ;
-
Que
néanmoins,
sur
les
réclamations
de
Joubert,
le
Gouvernement
anglais
accorda
une
indemnité
de
4,ooo
liv.
st.
(
soit
1oo,ooo
fr.),
déposés
à
la
trésorerie
anglaise.
Le
Tribunal
a
déclaré
nulle
la
vente
du
navire,
comme
entachée
de
baraterie,
et
alloue
l'indemnité
de
1oo,ooo
fr.
à
M.
David,
légitime
propriétaire
du
navire.
(Jugement du 9 juin.).
4. La rencontre du Ville de Bordeaux avec Dumont d’Urville
Baie de St-Vincent (Le Breton) Établissement des baleiniers sur l'Ile Quiriquina (Le Breton)
Dumont
d'Urville
lors
de
son
passage
au
Chili
la
première
année
de
son
tour
du
monde
à
bord
de
l'Astrolabe,
jeta
l'ancre
dans
la
baie
de
Talcahuano,
entre
avril
et mai 1838. Il y décrit (dans le tome 2) les baleiniers et les marins français qu'il y trouve alors.
Selon
Dumont
d'Urville,
ils
étaient
mouillés
pour
certains
dans
la
baie
de
Saint-Vincent
(côte
Pacifique
à
qqes
km
au
SO
de
Talcahuano),
d'autres
au
nord
de
l'île
de
la
Quiriquina
(qui
marque
l'entrée
de
la
baie
de
la
Conception
)
ou
à
Talcahuano
(au
SO
de
la
baie
de
Conception):
les
noms
sont
Georges
(du
Havre,
cap.
Gaspard),
Rubens
(cap.
Rogery),
Louise,
Grétry
(cap.
Foulon),
Océan
(de
Nantes,
cap.
Coste),
Ville-de-Bordeaux
(cap.
Largeteau),
Héva
(Havre,
cap.
Le
Lièvre),
Havre
(Havre,
cap.
Privat),
Salamandre,
Aglaé
et
Courrier-des-Indes
(cap.
Renouf).
On
sait
que
les
Océan,
Havre,
Salamandre
et
Aglaé
étaient
mouillés
à
Talcahuano,
Georges
à
l'île
de
la
Quiriquina
et
qu'Heva
avaient
l'intention
de
mouiller
à
la
Quiriquina
également;
les
navires
qui
étaient
à
Saint-Vincent
sont
Rubens, Louise et Grétry. Finalement Ville-de-Bordeaux ("le plus beaux des baleiniers français selon Dumont d'Urville), vint aussi mouiller à la Quiriquina.
Nous
avons
donc
comme
hypothèse
que
les
navires
représentés
sur
les
peintures
de
Le
Breton
sont:
Rubens,
Grétry
et
Louise
à
Saint-Vincent;
Georges,
Héva
et
Ville-de-Bordeaux au mouillage nord de la Quiriquina.
Ces
mouillages-là
étaient
en
fait
davantage
des
postes
à
pêche
que
des
mouillages,
c'est
a
dire
que
les
navires
y
stationnaient
en
guettant
le
passage
des
baleines au large. il fallait d'ailleurs pour cela obtenir la permission des autorités locales.
Christophe Pollet
1. Autour du Ville de Bordeaux (par Françoise Arrighi)
2. La triste carrière du Ville de Bordeaux (par Alain Clouet))
3. Compte-rendu du procès tenu à Paris en 1846
4. La rencontre du Ville de Bordeaux avec Dumont d’Urville (par Christophe Pollet)
(Photos de Françoise Arrighi)