Bordeaux Aquitaine Marine
1904, Le port de Bordeaux en crise
Extrait de Léon Paul. Les grands ports français de l'Atlantique. In: Annales de Géographie. 1904, t. 13, n°70. pp. 322-333.
Placé
sur
l'estuaire
de
la
Gironde
dans
une
situation
analogue
à
celle
de
Nantes,
Bordeaux
a
gardé
sur
le
port
de
la
Loire
le
grand
avantage
de
pouvoir
offrir
le
long
de
ses
quais
une
profondeur
de
7
m.
Ce
tirant
d'eau
qui
permet
une
entrée
directe
de
la
plupart
des navires, se trouve cependant insuffisant pour les cargo-boats de très fort tonnage.
Le
port
de
Bordeaux
devait
donc,
comme
les
autres
ports
en
rivière,
compléter
son
outillage
par
la
création
d'un
avant-port.
Situé
à
Pauillac
à
50
km
vers
l’aval,
il
assure
des
profondeurs
moyennes
de
8
m
et
des
profondeurs
maxima
de
9,25m.
Toutefois
les
relations
entre
Bordeaux
et
Pauillac
ne
sont
nullement
comparables
à
celles
qui
existent
entre
Nantes
et
Saint-Nazaire.
Pauillac
n’a
aucune
autonomie.
C’est
une
entreprise
bordelaise
qui
appartient
il
est
vrai
à
une
société
particulière
mais
pourrait
dans
l’avenir
être
rattachée
au
port
de
Bordeaux
sans
difficulté
sérieuse.
Pauillac
n’est
même
pas
un
port
maritime.
C’est
une
gare
de
transbordement.
Un
appontement
couvert
de
rails
permet
le
passage
direct
du
navire
au
wagon.
Pas
de
terre-pleins,
de
magasins,
d’entrepôts.
Quelques
usines
ont
pris
possession
des
grands
espaces
vides
qu’offrent
les
prairies
riveraines.
La
principale
est
celle
des
Hauts
Fourneaux
de
Pauillac
qui
rappelle
par
sa
situation
les
aciéries
de
Trignac
Saint-Nazaire
et
consomme
100000
tonnes,
la
moitié des arrivages destinés à l'appontement.
Il
n’y
a
rien
là
toutefois
qui
ressemble
ou
doive
jamais
aboutir
à
la
création
une
ville
industrielle
Devant
les
hauts
fourneaux
isolés
dans
la
campagne,
des
troupeaux
errent
à
travers
champs.
Pauillac
n’a
aucune
vie
propre.
Il
constitue
un
utile
complément
d'outillage
dont
Bordeaux
si
souvent
encombré
se
passerait
difficilement.
Les
navires
d’un
fort
tirant
d’eau
ont
intérêt
à
livrer
directement
les
marchandises
aux
wagons.
Ils
utilisent
comme
fret
de
retour
les
poteaux
de
mines
venant
des
Landes
par
le
chemin
de fer du Médoc.
Si
la
création
de
Pauillac
n’a
pas
déterminé
la
naissance
d’une
grande
agglomération
ouvrière,
on
ne
trouve
pas
non
plus
à
Bordeaux
les
signes
d'une
prospérité
industrielle
analogue
à
celle
de
Nantes.
C’est
uniquement
comme
port
de
commerce
que
Bordeaux
s’est
développé,
et
comme
tel,
il
souffre
aujourd’hui
d’une
stagnation
relative.
Son
rôle
commercial
est
fondé
non
pas
sur
le
passage
des
marchandises
en
provenance
ou
destination
de
l’intérieur
mais
surtout
sur
la
mise
en
valeur
de
ressources
locales
ou strictement régionales.
Bordeaux
dû
à
sa
prospérité
précoce
au
commerce
des
vins
qui
constituait
comme
pour
Nantes
celui
des
sucres,
un
véritable
monopole
et
en
a
fait
de
bonne
heure
un
des
premiers
ports
français.
Il
a
bien
conservé
la
physionomie
d'un
port
exclusivement
consacré
au
négoce.
Toutes
les
vieilles
maisons
d’armement
et
de
commerce
s’alignent
le
long
des
quais
de
la
rive
gauche
auxquels
les allées tracées par les intendants du 18e siècle forment un majestueux arrière- plan.
Sur
ces
quais,
peu
de
docks
et
de
magasins.
La
température
est
clémente.
Les
bâches
suffisent
le
plus
souvent
à
couvrir
les
marchandises,
des
merrains
en
chêne
de
Hongrie,
des
poteaux
de
mines
en
bois
des
Landes,
des
boîtes
de
conserve
des
caisses
eau-de
vie,
surtout
des
barriques
de
vin.
Quand
le
vin
va
tout
va
dit
un
vieux
dicton
bordelais.
Malheureusement
le
vin
ne
va
pas
beaucoup
mieux
que
jadis
le
sucre
à
Nantes.
Bordeaux
est
en
train
de
traverser
vingt
ans
plus
tard
une
crise
analogue
à
celle
dont
Nantes est sortie si brillamment transformée. Il y a plus d'un trait commun dans histoire des deux villes.
Le port de Bordeaux en 1903
Il
est
rien
de
plus
dangereux
pour
une
place
de
commerce
que
de
fonder
ses
bénéfices
sur
la
vente
d’une
unique
spécialité.
La
sécurité
du
présent
empêche
de
se
préparer
aux
changements
qui
peuvent
survenir
et
s’endort
dans
une
fatale
routine.
L’histoire
de
Bordeaux
en
est
un
frappant
exemple.
Le
commerce
des
vins
doit
compter
aujourd’hui
avec
des
concurrences
nouvelles.
Les
produits
de
l’Australie
et
de
la
Californie,
de
la
Crimée
et
du
Caucase
ont
une
large
place
sur
le
marché.
Le
monopole
exercé
par
les
vins
de
France
va
sans
cesse
en
diminuant.
D’autre
part,
la
vente
s’est
trouvée
atteinte
par
les
tarifs
douaniers
de
1892
empêchant
l’entrée
des
vins
d'Espagne
indispensables
pour
le
coupage.
Ele
s’est
ressentie
de
la
suppression
des
entrepôts
spéciaux
qui
fabriquent
le
gros
vin, le véritable vin industriel.
Les
négociants
bordelais
sous
peine
de
renoncer
à
une
part
importante
de
leurs
affaires
ont
dû
s’installer
de
l’autre
côté
de
la
frontière
espagnole.
Une
importante
colonie
est
établie
au
port
de
Passages
;
le
coupage
s'effectue
dans
des
chais
bordelais
et
cette
petite
conque
rocheuse
voisine
de
Saint-
Sébastien est devenue le lieu expédition des vins ordinaires principalement destinés à l’Amérique du Sud.
Ces
causes
diverses
de
diminution
se
traduisent
nettement
dans
la
statistique.
Les
importations
de
v
ins
qui
étaient
en
1871
de
2
380
000
quintaux
métriques
n’ont
plus
atteint
que
1
622
000
quintaux
en
1892,
1
125
000
en
1893
et
468
000
en
1901.
Leur
valeur
est
passée
aux
mêmes
dates
de
63
millions
à
43,
à
29
et
à
10.
L’exportation
qui
était
en
1890
de
1
331
000
quintaux
métriques
n’est
pl
us
en
1901
que
de
890
000
et
sa
valeur
a
baissé
de
159
79
millions
Il
est
pas
exagéré,
on
le
voit
de
parler
de
la
crise
du
port
de
Bordeaux.
On
ne
peut
que
difficilement
espérer
le
retour
des
affaires
perdues.
Il
faut
songer
à
remplacer
plutôt
qu’à
restituer
la
prospérité vinicole.
Dans
quelles
voies
s’orientera
désormais
Bordeaux.
Où
le
port
cherchera-t-il
les
éléments
une
fortune
nouvelle
?
Les
commerçants
bordelais
habitués
comme
les
Nantais
autrefois
aux
affaires
faciles
se
sont
longtemps
reposés
sur
la
sécurité
des
situations
acquises.
On
n’a
pas
épargné
les
railleries
la
génération
enrichie
«
aux
fils
d’armateurs
»,
«
aux
lords
du
bouchon
».
Bien
que
jusqu’à
présent
des
efforts
comparables
à
c
eux
de
Nantes
aient
pas
été
tentés
pour
le
relèvement
de
Bordeaux,
on
peut
prévoir
une
utilisation meilleure des ressources très variées dont dispose le commerce du port.
Bordeaux
demeure
le
grand
marché
de
vente
de
la
morue.
A
la
fin
de
la
campagne,
les
navires
de
pêche
la
plupart
bretons
viennent
en
masse
aux
sècheries
de
Bègles.
Les
voiliers
légers
et
robustes
s’alignent
en
rangs
serrés
tout
au
fond
du
port
devant
le
grand
pont
de
pierre
construit
en
1811
et
qui
ferme
vers
l’amont
l’incomparable
bassin
maritime
de
la
Gironde.
Cette
pêche
bretonne
est
commanditée
par
des
maisons
bordelaises
qui
expédient
le
poisson
en
Espagne,
pays
de
grande
consommation
demeuré
tributaire
de
la
France.
C’est
pour
Bordeaux
un
tonnage
peu
considérable
sans
doute
mais
qui
représente
une
valeur
de
près
de
20
millions
de fr.
En
dehors
des
ressources
de
la
pêche
qui
été
un
des
éléments
les
plus
anciens
et
les
plus
stables
de
la
prospérité
bordelaise,
il
existe
des
possibilités
de
trafic
dont
beaucoup
jusqu’ici
sont
restées
négligées.
C’est
ainsi
que
la
Compagnie
du
Midi
doit
encore
chercher
à
Saint-Nazaire
son
approvisionnement
en
briquettes.
Une
usine
se
crée
pour
rendre
Bordeaux
ce
trafic
qui
doit
logiquement
lui
revenir.
Une
fabrique
de
ciment
se
fonde
pour
utiliser
la
clientèle
d’Espagne.
Les
pierres
des
Charentes
commencent
à
s’expédier
dans
l’Amérique
du
Sud
pour
la
construction
des
grandes
capitales
telles
que
Rosario
et
Buenos-Aires,
élevées sur les boues fluviales. Il y a là un trafic nouveau vers des pays dont les relations avec Bordeaux sont fort anciennes.
Le
tonnage
déjà
est
suffisant
pour
nécessiter
l’installation
d’une
grue
de
15t.
On
signale
de
même
un
mouvement
de
10
000
à
15
000 t de machines agricoles, commerce récent destiné sans doute à s’accroître.
Enfin
Bordeaux
se
préoccupe
de
la
création
d’une
ligne
franco-canadienne
qui
apporterait
à
Angoulême
des
cargaisons
de
pâtes
de
bois.
Une
entente
été
conclue
avec
la
maison
Worms
pour
fournir
le
fret
de
retour
drainé
depuis
Hambourg
dans
les
ports
de
Atlantique.
Il
y
a
là
un
ensemble
de
tentatives
qui
paraissent
devoir
amener
dans
quelques
années
un
accroissement
de
trafic
de
200
à
300
000
t.
L’ingéniosité
des
Bordelais
pourrait
d'ailleurs
tirer
partie
d’autres
ressources
encore
ici
inutilisées.
C’est
ainsi
que
l’esturgeon
de
nos
côtes
va
se
faire
traiter
en
Russie
et
nous
revient
sous
forme
de
caviar.
Il
n’a
pas
d’usine
à
Bordeaux
pour
l’extraction
des
essences
des
pins
landais.
Les
bois
vont
se
faire
traiter
à
Londres
ou
Venise.
Le
développement
récent
pris
à
Bordeaux
par
l’enseignement
industriel
par
les
cours
portant
sur
l’utilisation
des
matières
végétales
ne
saurait
manquer
exercer
une heureuse influence sur le développement général du trafic.
Si
Bordeaux
est
resté
principalement
un
port
de
négoce
destiné
aux
marchandises
chères,
il
reçoit
néanmoins
d’importants
arrivages
de
matières
premières
nécessaires
à
l’industrie.
On
voit
se
produire
à
Bordeaux,
au
point
de
vue
de
l’utilisation
des
diverses
parties
du
port,
une
sorte
de
division
du
travail.
En
dehors
des
quais
de
la
rive
gauche,
réservés
au
trafic
des
marchandises
de
détail,
il
se
manutentionne
environ
1
300
000
t
de
fret
lourd.
Les
arrivages
de
houille
de
1890
à
1901
ont
passé
de
400
000
à
plus de 900 000 t.
Projets d'agrandissement
Les
bois
de
construction,
les
poteaux
de
mines
occupent
aussi
une
part
importante
dans
le
mouvement
général.
Il
a
donc
fallu
chercher
en
dehors
des
quais
les
emplacements
nécessaires.
Le
trafic
s’est
porté,
tout
comme
à
Nantes,
sur
la
rive
qui
fait
face
à
la
ville
et
vers
l’aval
des
quais
urbains.
Les
appontements
de
Queyries
construits
sur
la
rive
droite
en
1890
forment
le
port
aux
charbons. On peut manutentionner aisément 1 200 t par jour.
D’autre
part,
à
l’aval
des
quais
de
la
rive
gauche,
un
bassin
à
flot
a
été
construit
dès
1882.
Les
terre-pleins
en
sont
occupés
par
des
chantiers
de
bois,
une
halle
aux
laines
et
les
ateliers
de
construction
Dyle
et
Bacalan
qui
fournissent
à
nos
Compagnies
de
chemins
de fer une part importante de leur matériel. Deux cales de radoub dont la plus longue mesure 180 mètres complètent cet outillage.
C’est
de
ce
côté
que
doit
se
faire
désormais
l’agrandissement
du
port
de
Bordeaux
On
ne
peut
continuer
les
quais
ni
sur
la
rive
gauche
qui
devient
convexe
et
ne
présente
plus
des
profondeurs
suffisantes,
ni
sur
la
rive
droite
où
les
terre-pleins
ne
tardent
pas
à
manquer.
Il
n'est
pas
possible
de
continuer
le
port
en
rivière.
C’
est
à
la
construction
un
deuxième
bassin
à
flot
que
tendent
les
projets
actuels
d’agrandissement.
Les
crédits
inscrits
au
programme
de
travaux
publics
de
1901
vont
servir
à
l’édifier
au
moins
partiellement à la place du réservoir qui alimente le bassin existant.
En
arrière
se
préparent
les
terrains
de
la
zone
d'extension
future.
Les
vases
draguées
dans
la
Gironde
sont
refoulées
par
un
ingénieux
système
de
pompes
et
de
canalisation
qui
permet
le
comblement
des
marais
bordelais.
C’est
là
une
grande
entreprise
qui
a
des
siècles
d'histoire.
Henri
IV
s'en
était
déjà
préoccupé.
Les
ingénieurs
hollandais
y
avaient
travaillé
sous
son
règne.
La
question
fut
l'objet,
de
la
part
de
Napoléon,
d'un
décret
rendu
de
Moscou,
enjoignant
au
corps
des
Ponts
et
Chaussées
d'avoir
à
dessécher
les marais dans un délai de six mois. On juge de la stupeur causée par cet ordre inexécutable.
Alphand
fut
le
premier
qui
entreprit
l'œuvre
avec
méthode,
mais
sans
disposer
d'un
outillage
suffisant.
Aujourd'hui
s'aménagent
de
vastes
terre-pleins
pour
l'agrandissement
du
port,
plus
loin
des
terrains
à
bâtir
ou
des
champs
réservés
à
la
culture.
A
Bordeaux,
comme
à
Nantes,
le
sol
de
la
ville
future
s'édifie
sur
les
vases
fluviales
recueillies
par
le
dragage.
Ainsi
le
développement
général
de
l'outillage
semble
permettre
dans
l'avenir
la
création
d'un
port
industriel,
doté
des
grands
espaces
nécessaires
pour
l'installation
des usines.
Quelles
que
soient
d'ailleurs
ces
possibilités
lointaines,
Bordeaux,
ne
se
contentant
plus
aujourd'hui
d'utiliser
les
ressources
purement
locales,
essaie
non
pas
seulement
de
créer
le
fret,
mais
de
l'attirer,
non
pas
seulement
de
mettre
en
valeur
les
richesses
de
la
région,
mais
de
devenir
le
port
d'expédition
et
de
transit
de
tout
le
Midi.
Sa
destinée
se
trouve
donc
liée,
comme
celle
des
autres ports de l'Atlantique, à la valeur même des voies de transport qui le desservent : voies navigables et chemins de fer.
La voie fluviale
Au
point
de
vue
des
transports
par
eau,
Bordeaux
occupe
une
situation
privilégiée.
Le
mouvement
de
batellerie
est
intense
dans
tout
l’arrière-pays.
Les
corps
morts
placés
dans
la
Gironde
permettent
le
déchargement
direct
des
navires
dans
les
gabarres.
On
y
manutentionne
177
000
t.
de
marchandises.
D'autres
viennent
s'amarrer
aux
quais
inclinés
en
pente
douce
qui
alternent
avec
les
quais
droits.
Jusqu'à
Portets
se
suivent
une
trentaine
de
stations
fluviales
dont
le
trafic
atteint
en
moyenne
une
dizaine
de
mille
tonnes.
Il
en
est
même
dont
l'importance
est
beaucoup
plus
considérable,
comme
Barsac
par exemple, dont le mouvement dépasse 80 000 t.
le quai aux gabares en 1903
Tout
l'arrière-port
de
Bordeaux
est
consacré
à
ce
trafic
fluvial.
Sur
les
quais
de
la
rive
gauche
s'alignent
d'innombrables
baraques
en
bois,
minuscules
entrepôts
où
les
commissionnaires
de
transports
reçoivent
les
blés
et
les
farines
de
la
Dordogne,
les
fruits,
les
oignons,
les
légumes
du
Sauternois.
Chacune
de
ces
petites
boutiques
représente
un
trafic
annuel
d'environ
10
000
t.
En
arrière,
d'immenses
terre-pleins
sont
couverts
de
pierres
à
bâtir
venant
de
l'amont
et
destinées
à la ville. Sur les quais, aucun outillage.
Les
mariniers
refusent
de
se
servir
d'engins
mécaniques.
La
journée
qu'ils
passent
au
port
leur
suffit
pour
manutentionner
à
bras
leur
modeste
cargaison.
Leur
matériel
n'a
généralement
qu'une
faible
jauge.
Certaines
de
ces
gabares
sont
de
véritables
boîtes
couvertes,
sorte
de
coches
d'eau
à
marchandises,
dont
la
capacité
ne
dépasse
pas
4
ou
5
t.,
mais
qui,
grâce
à
l'absence
de
tous
frais
d'exploitation,
transportent
à
bien
meilleur
compte
que
les
wagons
de
chemins
de
fer.
Gabares
et
barques
partent
ensemble
au
premier
flot
de
marée.
L’immense
flottille
bruyante
et
grouillante
se
range
en
train
non
sans
peine
et
s’attelle
au
remorqueur
qui
doit la conduire au canal du Midi.
Malgré
l’intensité
de
cette
vie
fluviale
dans
la
région
bordelaise,
le
commerce
du
port
ne
pénètre
pas
très
loin
dans
l’intérieur
par
la
batellerie.
Bordeaux
a
sur
Nantes
et
sur
La
Rochelle
le
grand
avantage
être
desservi
par
une
voie
eau
praticable
et
continue.
Mais
la
continuité
en
est
plus
apparente
que
réelle.
Les
dimensions
des
chenaux
et
des
écluses
diffèrent
sur
la
section
du
canal
latéral
la
Garonne
et
sur
celle
du
canal
du
Midi
La
circulation
est
gênée
par
les
courbes
trop
brusques,
les
ponts
trop
bas,
parfois
aussi
le
manque
eau.
Cette
voie
demeurée
en
1898
dans
la
dépendance
de
la
Compagnie
des
Chemins
de
fer
du
Midi
n’a
pas
été
comprise
au
programme
des
grands
travaux
qui
ont
donné
à
notre
réseau
navigable
des
dimensions
uniformes
et
d'une
constitution
homogène. Aussi la batellerie n’a-t-elle pu s'organiser. On se sert encore de la vieille barque massive de l’époque de Riquet.
Il
existe
à
Toulouse
quelques
compagnies
de
navigation.
Il
n'en
existe
pas
à
Bordeaux.
Le
fret,
faute
d’une
organisation
commerciale,
subit
des
variations
considérables
et
demeure
à
un
taux
élevé.
Le
rachat
du
canal
du
Midi
par
l’Etat
s’est
traduit
aussitôt
par
des
améliorations
notables
et
par
des
abaissements
de
prix
sur
la
voie
ferrée
parallèle.
Mais
la
grande
artère
de
jonction
entre
Atlantique
et
la
Méditerranée
devrait
semble-t-il
remplir
un
rôle
économique
plus
important
que
celui
de
simple
régulateur des tarifs de chemins de fer Ce rôle ne sera possible que par la complète transformation de la voie actuelle.
Une
société
d’origine
très
récente
Le
«
Sud-Ouest
navigable
»
a
formulé
en
ce
sens
des
voeux
nombreux
et
précis
et
le
programme
des
travaux
publics
de
1901
qui
prévoit
l’établissement
d’un
gabarit
uniforme
pour
les
canaux
de
Bordeaux
à
Cette,
tend
à
leur
donner
satisfaction.
Grâce
à
la
réalisation
de
dimensions
identiques
:
un
tirant
eau
de
1,80
m
et
des
écluses
de
30
m
sur
5,50
m,
la
circulation
des
chalands
de
250
t
s’effectuera
sans
obstacle.
Toutefois
ce
changement
de
dimensions,
l’accroissement
même
du
trafic
qui
en
résultera
obligent
à
chercher
des
ressources
d’alimentation
nouvelles
que
les
anciens
réservoirs
ne
sauraient
fournir.
Un
projet
fort
intéressant
consisterait
créer
dans
la
haute
vallée
de
l’Aude
un
barrage-réservoir
au-dessous
duquel
une
usine
hydro-électrique distribuerait la force nécessaire à l’établissement de la traction mécanique le long des rives du canal.
Le chemin de fer
Quels
que
doivent
être
les
résultats
des
efforts
tentés
pour
rendre
au
canal
du
Midi
le
rôle
que
lui
assignait
sa
position
géographique,
c’est
sur
les
chemins
de
fer
que
Bordeaux
doit
compter
aujourd’hui
presque
exclusivement
pour
desservir
son
commerce.
Or,
si
l’on
met
à
part
la
ligne
de
Bordeaux
à
Cette,
on
ne
peut
que
constater
une
fois
de
plus
l'absence
de
courants
transversaux
bien
organisés
entre
l'Est
et
les
ports
de
l'Atlantique.
En
1853,
à
l'époque
des
grandes
concessions
de
chemins
de
fer,
une Compagnie, celle du « Grand central », s'était fondée pour exploiter la ligne de Bordeaux à Lyon.
Mais
dès
1857,
les
Compagnies
P.-O.
et
P.-L.-M.
s'en
partageaient
les
tronçons.
Depuis
lors,
ces
deux
Compagnies,
fidèles
à
la
politique
du
plus
long
parcours,
ont
porté
tous
leurs
efforts
sur
l'organisation
des
lignes
les
plus
longues,
dirigées
vers
Paris
et
le
Nord.
De
récentes
pétitions
des
Chambres
de
Commerce
intéressées
ont
mis
en
lumière
l'insuffisance
des
relations
actuelles
entre
Bordeaux
et
Lyon[1].
Pour
le
service
des
voyageurs,
il
n'existe
que
des
trains
de
nuit,
marchant
à
la
vitesse
commerciale
de
40
à
45
km.
Un
seul
train
de
jour,
de
Lyon
à
Bordeaux
—
il
n'en
existe
pas
en
sens
inverse
—
part
à
5
heures
du
matin
pour
arriver
à
minuit
et
demi,
soit
une
vitesse
commerciale
de
32
km
à
l'heure.
Le
voyageur
trouve
avantage
à
passer
par
Cette,
malgré
l'allongement
du
parcours.
Au
point
de
vue
de
la
circulation
des
marchandises,
la
configuration
du
réseau
du
Midi,
qui
n'est
pas
allongé
comme
les
autres
du
Nord
au
Sud,
est
plus
favorable
aux
courants
transversaux.
Du
moins
les
détournements
de
trafic
s'opèrent-ils
à
la
frontière
du
réseau d'Orléans. Maintes fois, la Société pour la défense du commerce de Bordeaux, a élevé des plaintes à ce sujet.
La
Compagnie
d'Orléans
combine
avec
la
Compagnie
du
Nord
des
tarifs
très
réduits
pour
les
ports
de
la
Manche,
détournant
un
trafic
qui
devrait
appartenir
à
Bordeaux.
Les
laines
de
Mazamet
s'expédient
avec
avantage
par
Dieppe,
Rouen
ou
Dunkerque,
malgré une distance quatre fois plus grande que celle de Bordeaux.
Toutefois,
ces
détournements
demeurent
nécessairement
limités,
puisqu'ils
ne
sont
possibles
qu'aux
stations-frontières.
Il
semble
peut-être
que
ce
soit
moins
l'élévation
des
tarifs
que
la
longueur
des
délais
de
transport
qui
détournent
le
trafic
de
Bordeaux
vers
d'autres
ports
plus
favorisés.
Tandis
qu'entre
Lyon
et
Bordeaux
(625
km.)
le
délai
de
transport
réglementaire
est
de
16
jours,
il
est
de
8
jours
entre
Bâle
et
Dunkerque
(746
km.)
ou
Anvers
(610
km.).
Il
convient
d'ajouter,
en
outre,
que,
tandis
qu'en
France
les
délais
sont
souvent
exploités
jus
qu'à
la
dernière
limite,
sur
Anvers,
le
délai
réglementaire
doit
être
considéré
comme
nul,
les
envois
en provenance ou à destination de ce port ne prenant jamais plus de 2 à 4 jours.
Enfin,
les
marchandises,
arrivant
en
gare
de
Bordeaux
pour
être
exportées,
doivent
subir,
jusqu'aux
quais
maritimes,
les
fâcheuses
conséquences
de
la
multip
licité
des
réseaux
et
du
manque
d'entente
entre
les
diverses
entreprises
de
transport.
Tous
les
efforts
devraient,
semble-t-il,
tendre
à
faciliter
l'accès
des
quais
de
Bordeaux
et
de
Pauillac.
Il
faut
au
contraire
franchir
de
nombreuses barrières.
Le réseau ferré de Bordeaux
Suivons
une
tonne
de
marchandises
venant
du
réseau
P.
-0.
et
allant
à
Pauillac.
Arrivée
à
la
gare
de
Bordeaux
elle
a
acquitté
tous
les
frais
de
transport,
mais
c'est
là
seulement
que
commencent
les
tribulations
de
l'expéditeur.
Il
faut
payer
0
fr.
50
de
la
gare
du
P.-O.
(gare
de
la
Bastide)
à
celle
du
Midi
(gare
Saint-Jean)
;
là
elle
emprunte
les
voies
de
quai
de
la
rive
gauche.
Sur
ces
voies
situées
en
pleine
ville, les trains, par mesure de sécurité publique, ne peuvent circuler que la nuit et à l'allure la plus lente.
La
carte
suivante
illustre
parfaitement
les
propos
de
Paul
Léon
sur
le
handicap
causé
par
la
multiplicité
des
réseaux
ferrés
et
le
franchissement de la Garonne.
En
raison
de
cette
exploitation
difficile,
la
Compagnie
du
Midi
prélève
une
taxe
fort
élevée
de
1
fr.
25
par
tonne.
Arrivée
au
bout
des
quais,
la
marchandise
allant
à
Pauillac
trouve
à
la
gare
Saint-Louis
une
troisième
Compagnie,
celle
du
Médoc.
Pour
franchir
les
49
kilomètres séparant la gare des appontements, il faut payer 2 fr. 20 par tonne, pour un tonnage minimum de 50 t.
Mais
si
l'on
ajoute
les
taxes
payées
à
une
Compagnie
filiale
de
la
Société
des
appontements,
l'usage
des
mêmes
appontements
et
divers
frais
accessoires,
c'est
encore
4
f
r.
50
qu'il
convient
d'ajouter
au
prix
de
transport,
soit
en
tout,
de
la
gare
de
Bordeaux-
Bastide
jusqu'au
navire
attendant
à
l’avant-port,
la
somme
colossale
de
8
f
r.
25,
pesant
sur
chaque
tonne.
Il
en
coûte
plus
cher
de
traverser Bordeaux que de traverser l'Atlantique, et l'on conçoit que l'expéditeur préfère un autre point d'embarquement.
Cette
question
des
voies
de
quai
pèse
lourdement
sur
l'avenir
du
port
de
Bordeaux.
Elle
ne
peut
se
résoudre
que
par
l'entente
des
Compagnies
d'Orléans
et
du
Midi
pour
le
rachat
de
l'ancienne
Compagnie
du
Médoc,
la
construction
d'un
chemin
de
fer
de
ceinture
doublant
les
voies
de
la
rive
gauche,
dont
la
traversée
est
à
la
fois
onéreuse
et
dangereuse,
l'exploitation
en
commun
de
toutes
les
voies
ferrées
du
port.
Là
encore,
la
coopération
des
divers
éléments
de
l'outillage
national
s'impose
avec
la
plus
pressante urgence.
L'étude
des
ports
de
l'Atlantique
montre
combien
d'éléments
divers
et
complexes
concourent
à
la
prospérité
des
grandes
places
de
commerce
maritimes
:
méthode
et
continuité
dans
l'exécution
des
travaux
publics,
collaboration
des
Municipalités
et
des
Chambres
de
Commerce
avec
l'État,
entente
des
diverses
entreprises
de
transport
dans
les
régions
desservies.
Ces
conditions,
nous
l'avons
vu,
n'ont
pas
été
pleinement
réalisées.
Au
lieu
de
concentrer
tout
l'effort
financier
sur
un
grand
port,
puissamment
outillé,
desservant
une
zone
étendue,
l'État
a
disséminé
les
crédits,
suivant
les
époques
et
les
idées
en
cours,
tantôt
sur
Bordeaux
et
Nantes,
tantôt
sur
la
Rochelle
et
Saint-Nazaire.
Dans
ces
deux
derniers
ports,
où
l'entente
méthodique
entre
les
pouvoirs
publics
et
les
pouvoirs
locaux
aurait
dû
résoudre
de
graves
questions
préalables,
comme
celle
des
adductions
d'eau,
le
manque
de
coordination
a
rendu
en
partie
stériles les sacrifices de l'État.
La
même
absence
de
coopération
se
retrouve
entre
les
diverses
entreprises
de
transport
intérieur.
Entre
voies
navigables
et
chemins
de
fer,
entre
réseaux
ferrés
voisins,
règne
souvent
une
hostilité
très
défavorable
aux
intérêts
publics.
Tout
récemment
des
chocolateries
de
Blois,
faisant
venir
par
eau
du
port
de
Nantes
leur
approvisionnement
en
sucre,
la
Compagnie
d'Orléans,
pour
frapper
d'interdiction
la
navigation
de
la
Loire
et
déposséder
Nantes
de
ce
trafic,
réalisa
des
tarifs
si
réduits
entre
Bordeaux
et
Blois
que le courant de transport fut artificiellement déplacé malgré l'allongement considérable du parcours.
Plus
récemment
encore,
le
Réseau
d'État,
faisant
venir
à
Nantes
des
primeurs
du
Midi
pour
les
exporter
par
Saint-Nazaire,
la
Compagnie
d'Orléans,
non
seulement
refusa
tout
tarif
commun,
mais
arrêta
les
wagons
dans
sa
gare
de
Nantes
et
les
y
maintint
bloqués
jusqu'après
le
départ
du
bateau
qui
devait
en
prendre
le
chargement.
De
très
importants
tonnages
se
trouvèrent
ainsi
perdus[2].
On
ne
saurait
trop
souhaiter
de
voir
disparaître
de
pareils
procédés
de
guerre
et
s'abaisser
des
barrières
tracées
suivant
la
configuration
purement
arbitraire
des
réseaux.
Deux
faits
pourront
dans
une
très
large
mesure
contribuer
à
ce
résultat.
D'une
part
la
loi
récemment
votée
sur
l'outillage
national,
qui
consacre
plus
de
200
millions
à
l'amélioration
de
nos
voies
navigables,
va
donner
à
la
batellerie
une
vitalité
nouvelle.
D'autre
part
la
récente
unification
des
services
du
contrôle
commercial
exercé
par
l'État
sur
les
Compagnies
va
permettre
d'étudier
les
tarifs
de
chemins
de
fer,
en
dépassant
les
frontières
des
réseaux
particuliers
pour
envisager
les
transports
sur
l'ensemble
du
territoire.
On
peut
espérer
que
ces
réformes
exerceront
une
heureuse
influence
sur
l'avenir
des
ports
de
l'Atlantique,
demeurés
jusqu'ici
singulièrement
isolés
de
l'intérieur
du
pays,
et
qui,
selon
les
paroles
de
Michel
Chevalier[3]
, semblent condamnés à mener, aujourd'hui comme au milieu du dernier siècle, « une existence solitaire ».
Paul Léon.
[1]
Voir
Office
des
transports,
art.
cités
:
Pétitions
Bordeaux-Lyon
et
Bordeaux,
Dijon
en
passant
par
le
Centre,
août
1903.
—
Relations
entre
le
Sud-Ouest, l'Est et l'Europe centrale. Rapport présenté à la Chambre de Commerce de Bordeaux, par Mr Alfred Kressmann, 5 novembre 1903.
[2] Chambre des députés, séance du 19 novembre 1903. Discours de Me Charruyer (Journal officiel, 1 903, p. 2793).
[3] Michel Chevalier, Des Intérêts matériels en France, 1813, p. 138