Bordeaux Aquitaine Marine
Paquebots transatlantiques vers 1852
Les discussions concernant l’attribution des lignes transatlantiques en France
(entre Bordeaux, Nantes, Marseille et le Havre) traînent depuis 1838, date de la
première ligne anglaise Bristol-New-York. Après le rétablissement de l’Empire, la
question fut remise à l’étude.
Ce fut dans cette situation que M. Duffour-Dubergier demanda vers 1852 au
conseil municipal de Bordeaux de joindre sa voix à celle de la chambre de
commerce pour attirer sur notre ville l'attention du Gouvernement dans la
distribution des lignes des paquebots transatlantiques:
« Il y a quatre lignes, disait-il, qui sont indispensables, et que la France doit
nécessairement établir, sous peine de déchoir au rang des puissances du dernier
ordre. Ces lignes sont celles de la Méditerranée, de l'Amérique du Nord, du golfe
du Mexique et du Brésil.
Celle de la Méditerranée a déjà été établie et concédée à la compagnie des
messageries nationales; son point de départ est Marseille. Bordeaux n'avait
aucune prétention à l'obtention de cette ligne.
Quant aux trois autres lignes, celle du nord de l'Amérique, du Mexique et du
Brésil, je pense en toute sincérité que, si l'on ne regardait qu'à l'avantage réel de
la compagnie et du pays, Bordeaux serait, sans contredit, le port de l'Océan qui
y aurait le plus de droits.
Les bateaux transatlantiques sont surtout destinés au transport des dépêches et
des voyageurs; par conséquent, la brièveté du parcours est la considération la
plus importante; c'est le seul moyen de combattre avantageusement la
concurrence anglaise, qui sera toujours fatale ou très-redoutable aux paquebots
partant du Havre.
Bordeaux ayant quarante-huit heures d'avance sur les paquebots anglais, ne
peut plus redouter cette concurrence.
On pourrait aussi répondre au Havre qu'il serail facile d'ouvrir une
communication aussi courte, et peut-être plus courte entre le port de Bordeaux
et Mulhouse, centre de la consommation des colons, que celle qui existe entre
cette ville et le Havre. Néanmoins, vu l'état actuel des communications
intérieures , des habitudes prises, la consommation de Rouen et des autres
villes du nord, je ne crois pas que l'on doive insister sur l'obtention de la ligne
des États-Unis; il convient de la laisser au Havre, si du moins le Gouvernement
n'en juge pas autrement dans un but d'intérêt général, et à condition que le
Havre , satisfait de cette concession, renonce à demander les deux autres lignes
du Mexique et du Brésil, auxquelles nous avons des droits incontestables.
Quant à celle du Mexique, la brièveté du parcours, les relations existantes entre
Bordeaux et le Mexique, celles de Bordeaux avec l'Espagne, tout concourt à en
assurer la concession à Bordeaux. Aussi, n'avons-nous pas trouvé d'opposition
sérieuse à ce que cette ligne nous fût concédée.
Il n'en a pas été de même de celle du Brésil. Le Havre, Marseille et Nantes, nous
la disputent.
Je ne sais trop sur quel motif sérieux ces villes fondent leurs demandes, ce qui
m'empêche d'y répondre; mais je connais les raisons invincibles qui militent en
notre faveur, et je vous prie de me permettre de vous les faire connaître.
D'abord, la brièveté du temps : nous gagnerons quarante-huit heures au moins
sur le Havre et Marseille, et vingt-quatre heures sur Nantes.
Cette différence seule dans un service postal est décisive, d'autant que, comme
je vous l'ai dit, elle nous assure un avantage incontestable sur les lignes
anglaises.
Marseille ne pourrait pas relâcher à Lisbonne sans faire un énorme détour , et le
Havre et Nantes offriraient un retard de vingt-quatre et quarante-huit heures sur
Bordeaux, dans la transmission des dépêches pour le Portugal et le transport
des voyageurs.
La grande émigration pour la Plata a lieu des provinces basques; or, ces pays
sont à nos portes et nous pouvons parfaitement desservir ces intérêts et
profiter de cette ressource. Nous avons donc, plus qu'aucun autre port, les
éléments de fret pour des bateaux transatlantiques, les passagers et la
correspondance postale.
Outre cela, nous avons des marchandises, le vin et les eaux-de-vie, qui
forment le meilleur aliment de fret; et quant aux articles de Paris, articles de
valeur et de peu de poids, ils arrivent à Bordeaux, par la voie ferrée, dans un
aussi bref délai qu'au Havre.
Mais une circonstance qui me paraît décisive, c'est que si l'on donnait la
ligne du Brésil à Nantes ou à Marseille, ou mieux encore au Havre, au
détriment de Bordeaux, ce serait fatal, non-seulement à Bordeaux, mais
encore à deux des trois autres villes qui en seraient privées.
Bordeaux est, en effet, le point intermédiaire entre le Havre et Nantes d'un
côté, et Marseille de l'autre. Marseille communique avec Bordeaux par le
canal latéral et le chemin de fer de Cette. Nantes communique en trente
heures avec Bordeaux par la navigation à vapeur, tandis que Nantes et
Marseille communiquent difficilement et lentement. Dans l'intérêt de ces
deux villes et du Havre lui-même, Bordeaux est donc le port qui doit être
choisi, parce que c'est celui qui offre le plus d'avantages à tous ceux des
ports qui n'obtiendront pas la concession de la ligne, tandis que Marseille ne
peut l'obtenir sans nuire considérablement au Havre et à Nantes, et Nantes
ou le Havre ne peuvent l'obtenir sans ruiner Marseille.
Une autre considération, qui devrait, ce me semble, être d'un grand poids,
c'est que le port de Bordeaux sera, en cas de guerre, beaucoup moins
exposé à un blocus que le Havre, et que les navires partant de notre port
seront moins exposés que ceux qui partiraient de Marseille et qui devraient
nécessairement passer sous le canon de Gibraltar. »
Ce n’est que le 17 juin 1857, qu’une loi attribua enfin à Bordeaux une
première ligne vers le Brésil et la Plata.
Extrait de Bachelier, M.L. - Commerce de Bordeaux depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours - Delmas, Bordeaux, 1862, p 347 & suiv..